Citations sur Le Carnaval des vampires (54)
À Venise, pas besoin d’enterrer ses crimes. On les jette dans l’eau de quelque côté que l’on se tourne. Une simple poussée et l’on se dissout comme le sucre dans un bol de chocolat…
Les vampires demeurent discrets, reprit leur hôtesse. Ils savent qu’ils sont très vulnérables le jour. Quiconque trouverait leur cache les détruirait aisément. Et même la nuit, face à un nombre important de soldats bien entraînés, ils n’en sortiraient pas forcément vainqueurs. Alors, ils se dissimulent et sortent peu sauf pour se nourrir. Même alors, ils font en sorte d’être parcimonieux et de ne puiser leur nourriture que dans la lie de la société et de pauvres gens que nul ne cherchera…
Votre accent et votre galanterie sont tout à fait français et je ne vois guère le Conseil des Dix employer des étrangers sur son territoire. Toujours prêt à croire que tout le monde complote, il ne fait déjà pas confiance aux Vénitiens…
La nobildonna avait une voix profonde et un peu rauque avec un léger accent et quelques inflexions un peu rugueuses mais étrangement suaves en même temps. Elle eut un mouvement d’invite pour leur proposer de s’asseoir. Ses gestes étaient à peine esquissés, soit par économie de mouvement, soit parce qu’assez explicites par eux-mêmes.
J’ai honte de raconter la suite des événements. Vous connaissez l’instinct meurtrier de la foule. La populace très excitée s’est livrée à des profanations d’autres sépultures. Même de très vieilles tombes. La police a dû intervenir.
Partout, ce n’étaient que marbres et plafonds dorés à profusion, toiles de maîtres, tapisseries de soie peintes à la main, bronzes et essences rares sous les reflets changeants d’un lustre en cristal polychrome. Sur une commode, de petits Orientaux en papier mâché laqué promenaient leur inquiétante bonhomie.
À Venise, les jeux de rues pullulaient comme le loto della venturina où l’on pioche dans un sac des jetons marqués d’une figure : Mort, Diable, Soleil, Lune, Monde ou Mercure… On y jouait pour gagner des beignets. Ils n’avaient pas faim mais tentèrent leur chance pour le plaisir de partager une activité commune.
— Pourquoi n’écrivez-vous pas à cette femme que vous aimez pour lui demander de vous rejoindre ici ? demanda soudain la jeune fille.
Dans son cerveau toujours actif, cela lui semblait être la meilleure solution pour garder son père adoptif à Venise. Mais le moine soupira.
S’il y a du bonheur sur terre, il est tout à Venise ! s’écria spontanément le moine. L’état le plus délicieux pour l’homme libre et désœuvré, m’écrivait un jour une comtesse après y avoir séjourné…
Et, de fait, la ville donnait à tout visiteur la possibilité d’atteindre un autre niveau de conscience, une capacité nouvelle à s’attarder, une disponibilité de chaque instant pour la flânerie. Ils s’arrêtèrent pour goûter le giulebbe, un sirop de fruit à l’eau de rose. Son goût délicieusement sucré évoquait à lui seul tous les charmes de l’été qui s’annonçait.
La trahison, cracha Iago. C’est comme poignarder le sein nourricier.
Pour les vrais Vénitiens, les citoyens d’origine, Venise compte six portes, expliqua patiemment Iago. Une par quartier. À Cannaregio la première porte ouverte vers l’Orient. La porte de l’Or à San Marco bien sûr. Pour Santa Croce la porte de l’Amour. Celle de la Couleur à Dorsoduro et des Épices pour San Polo. Nous, à Castello, c’est la porte de la Mer.