Les années de la lune (1969-1971)

L'homme est un animal mou, facilement percé par tous les instruments pointus, et cassé, écrasé,tordu par tous les autres. Qui ne peut pas voler, qui peut à peine courir, tout juste barboter, ne sent rien, entend peu, ne voit que dans une fenêtre étroite du spectre des vibrations et devient aveugle dans la nuit. Qui aurait dû, logiquement, disparaître depuis longtemps de la surface de la Terre, dévoré, anéanti par dix mille ennemis mieux armés que lui.

(...) une armée qui se sait inférieure, et qui sait qu'elle a son pays et sa liberté à défendre, peut être capable de se battre avec n'importe quoi, même à coups de dents. le monde nous en a donné cent exemples depuis la campagne de Belgique.

Par contre, quelqu'un à qui on a répété : tu es invincible et le type d'en face n'est rien du tout, et qui se rend compte tout à coup qu'il est seul, désarmé, au milieu de la pleine, en face d'un monstre d'acier qui lui fonce dessus, éprouve un tel saisissement que tous ses réflexes de défense sont détruits.

Alors que Gustave croyait partir cuirassé pour la chasse au lapin, en Belgique se sont rencontrés la formidable mécanique de l'armée allemande et Gustave, tout nu.

C'est la révélation de la vérité qui a détruit en quelques heures la cohésion de l'armée française. Sous la pluie des bombes, la ruée des tanks et l'assaut des jeunes soldats allemands armés d'une façon légère et efficace, en l'absence de tout soutien aérien et de tout appui blindé, le sentiment qui a désintégré Gustave, ce n'est pas la peur, c'est la stupéfaction.

Il lui était si peu facile de croire à ce qu'il voyait et subissait, qu'il inventa ce bobard formidable qui lui paraissait beaucoup plus vraisemblable que la réalité : Gamelin n'avait envoyé en Belgique que ses troupes de réservistes, pour tromper Hitler, avait rassemblé toute l'aviation et les forces blindées en Alsace et dans une ruée formidable, avait percé la Ligne Siegfried !

Alors qu'il rentrait en France en déroute, Gustave a cru pendant quelques heures que cette armée française moderne, efficace, invincible, qu'il avait cru tapie quelque part pendant toute la drôle de guerre, était déjà à mi-chemin de Berlin !

Armstrong a marché sur la lune. Aldrin, Bean et Conrad y ont dansé. Conrad y a chanté.

On a insulté le soldat français de 1940, en disant qu'il n'avait pas cherché à se battre, qu'il n'avait pensé qu'à fuir ou à se rendre. Les moyens de se battre, il ne les avait pas. L'armée française de 1940, ce n'était même pas celle de 1914, c'était celle de Napoléon ! Le ravitaillement de la division marocaine à laquelle j'appartenais au moment où elle est entrée en Belgique se faisait avec des fourgons recouverts d'une bâche semi-cylindrique et tirés par des mules, tels qu'ils devaient exister dans l'intendance depuis Vercingétorix !

Nous nous sentons coupables d'avoir remplacé les rois par des républiques qui n'ont produit que des bourgeois, l'injustice sociale et le désordre. Nous nous sentons coupables de ne pas nous être assez fait tuer pendant la dernière guerre, coupables d'avoir conservé Paris intact et d'être obligés de le défigurer nous mêmes, coupables d'avoir eu des colonies, honteux de les avoir perdues, coupables d'en avoir honte.[...] Coupables même dans l'avenir, coupables de cette société marxiste qui remplacera un jour les républiques vraies ou presque et installera des bureaucraties tristes à la place des bourgeois râleurs. Les plus jeunes d'entre nous se révoltent déjà contre cet état futur, avant même qu'il soit en place, en cassant les carreaux de l'Etat présent et en brûlant nos poubelles et nos voitures.

Apollo XII : la lune en grève
Mardi, mon téléviseur couleur tomba en panne. Mercredi matin, on m'en livra un autre.
J'attendais avec impatience l'arrivée sur la lune des hommes d'Apollo XII. J'ouvris mes deux écrans, m'installai sur mon lit, le dos calé à six oreillers, et soupirai d'aise.
Mon écran couleur resta noir comme un sac de charbon : le livreur n'avait pas su brancher la deuxième chaîne. Je bondis au téléphone. On m'envoya un dépanneur. Je vis vaguement sur la première chaîne Conrad descendre du LEM. Mon dépanneur n'arrivait pas : une coupure de courant due à la grève de l'EDF l'avait coincé dans l'ascenseur de l'usine...

Il y a des écrivains qui ne croient qu'à la littérature, c'est à dire à la technique de notre métier, et qui, n'ayant rien à dire, ne pensent qu'à inventer de nouvelles façons de ne rien dire longuement.

Le médicament, aujourd'hui, ce n'est plus l'hostie, c'est le miracle. Nus avons besoin de croire au miracle, surtout depuis que nous n'avons plus de religion.

Les Halles ont quitté Paris. Mais les parisiens ont raté l'occasion d'éxiger qu'on leur plante à la place un coeur tout frais :un for^rt avec des oiseaux.

Le prince d' Edimbourg se plaint d'être trop pauvre. Une pauvresse de Malaga vend son nouveau-né pour un kilo de pois chiches.