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Citations sur L'expérience intérieure (99)

J'entends par expérience intérieure ce que d'habitude on appelle expérience mystique : un état d'extase, de ravissement, au moins d'émotion méditée.
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« En 1933, je fus une première fois malade ; au début de l’année suivante, je le fus de nouveau davantage, et ne sortis du lit que pour boiter, perclus de rhumatismes (je ne me rétablis qu’au mois de mai — depuis quel temps j’ai joui d’une santé banale). Me croyant mieux, voulant me refaire au soleil, j’allai en Italie, mais il plut (c’était au mois d’avril). Certains jours je marchais à grand-peine, il arriva que la traversée me fit gémir : j’étais seul et me rappelle (tant j’étais ridicule) avoir pleuré le long d’une route dominant le lac d’Albano (où j’essayai vainement de séjourner). Je résolus de regagner Paris mais en deux fois : je partis de bonne heure de Rome et couchai à Stresa. Il fit le lendemain très beau et je restai. Ce fut la fin d’une Odyssée mesquine : aux après-midi de voyage traînés sur les lits d’hôtel, succéda la détente délicieuse au soleil. Le grand lac entouré de montagnes printanières étincelait devant mes yeux comme un mirage : il faisait chaud, je demeurais assis sous des palmiers, dans les jardins de fleurs. Déjà je souffrais moins : j’essayai de marcher, ce fut de nouveau possible. J’allai jusqu’au pont des bateaux consulter l’horaire. Des voix d’une majesté infinie, en même temps mouvementées, sûres d’elle, criant au ciel, s’élevèrent en un choeur d’une incroyable force. Je demeurai saisi, sur le coup, ne sachant ce qu’étaient ces voix : il se passa un instant de transport, avant que je n’aie compris qu’un haut-parleur diffusait la messe. Je trouvai sur le pont un banc d’où je pouvais jouir d’un paysage immense, auquel la luminosité du matin donnait sa transparence. Je restai là pour entendre chanter la messe. Le choeur était le plus pur, le plus riche au monde, la musique belle à crier (je ne sais rien de la maîtrise ou de l’auteur de la messe — en matière de musique, mes connaissances sont de hasard, paresseuses. Les voix s’élevaient comme par vagues successives et variée, atteignant lentement l’intensité, la précipitation, la richesse folles, mais ce qui tenait du miracle était le rejaillissement comme d’un cristal qui se brise, auquel elles parvenaient à l’instant même ou tout semblait à bout. La puissance séculaire des basses soutenait, sans cesse, et portait au rouge (au point du cri, de l’incandescence qui aveugle) les hautes flammes des voix d’enfant (de même que dans un foyer une braise abondante, dégageant une chaleur intense, décuple la force délirante des flammes, se joue de leur fragilité, la rend plus folle). Ce qu’il faut dire en tout cas de ces chants est l’assentiment que rien n’aurait pu retirer de l’esprit, qui ne portait nullement sur les points du dogme (je distinguai des phrases latines du Credo...— d’autres, il n’importait) mais sur la gloire de torrent, le triomphe, auxquels accède la force humaine. Il me sembla, sur ce pont de bateaux, devant le lac Majeur, que jamais d’autres chants ne pourraient consacrer avec plus de puissance l’accomplissement de l’homme cultivé, raffiné, cependant torrentiel et joyeux, que je suis, que nous sommes. Aucune douleur chrétienne, mais une exultation des dons avec lesquels l’homme s’est joué de difficultés sans nombre (en particulier — ceci prenait beaucoup de sens — dans la technique du chant et des choeurs). Le caractère sacré de l’incantation ne faisait qu’affermir un sentiment de force, crier davantage au ciel et jusqu’au déchirement la présence d’un être exultant de sa certitude et comme assuré de chance infinie. (Il importait peu que cela tienne à l’ambiguïté de l’humanisme chrétien, non rien n’importait plus, le choeur criait de force surhumaine.) »
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« Pour exprimer le mouvement qui va de l’exultation (de son heureuse, éclatante ironie) à l’instant de la déchirure, je recourrai une fois de plus à la musique .
Le Don Juan de Mozart (que j’évoque après Kierkegaard et que j’entendis — une fois du moins — comme si les cieux s’ouvraient — mais la première seulement, car après coup, je m’y attendais : le miracle n’opéra plus) présente deux instants décisifs. Dans le premier, l’angoisse — pour nous — est déjà là (le Commandeur est convié au souper), mais Don Juan chante :
« Vivan le femine — viva il buon vino — gloria e sostegno — d’umanita... »
Dans le second, le héros tenant la main de pierre du Commandeur — qui le glace — et pressé de se repentir — répond (c’est avant qu’il ne tombe foudroyé, la dernière réplique) :
« No, vecchio infatuato ! »
(Le bavardage futile — psychologique — à propos de "don juanisme" me surprend, me répugne. Don Juan n’est à mes yeux — plus naïfs — qu’une incarnation personnelle de la fête, de l’orgie heureuse, qui nie et divinement renverse les obstacles.) »
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Bien que les mots drainent en nous presque toute la vie —de cette vie, à peu près pas une brindille que n’ai saisie, traînée, accumulée la foule sans repos, affairée, de ces fourmis (les mots) —, il subsiste en nous une part muette, dérobée, insaisissable. Dans la région des mots, du discours, cette part est ignorée. Aussi nous échappe-t-elle d’habitude. Nous ne pouvons qu’à de certaines conditions l’atteindre ou en disposer. Ce sont des mouvements intérieurs vagues, qui ne dépendent d’aucun objet et n’ont pas d’intention, des états qui, semblables à d’autres liés à la pureté du ciel, au parfum d’une chambre, ne sont motivés par rien de définissable, si bien que le langage qui, au sujet des autres, a le ciel, la chambre, à quoi se rapporter — et qui dirige dans ce cas l’attention vers ce qu’il saisit —est dépossédé, ne peut rien dire, se borne à dérober ces états à l’attention (profitant de leur peu d’acuité, il attire aussitôt l’attention ailleurs).
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L’angoisse, évidemment, ne s’apprend pas. On la provoquerait ? c’est possible : je n’y crois guère. On peut en agiter la lie… Si quelqu’un avoue de l’angoisse, il faut montrer le néant de ses raisons. Il imagine l’issue de ses tourments : s’il avait plus d’argent, une femme, une autre vie… La niaiserie de l’angoisse est infinie. Au lieu d’aller à la profondeur de son angoisse, l’anxieux babille, se dégrade et fuit. Pourtant l’angoisse était sa chance : il fut choisi dans la mesure de ses pressentiments. Mais quel gâchis s’il élude : il souffre autant et s’humilie, il devient bête, faux, superficiel. L’angoisse éludée fait d’un homme un jésuite agité, mais à vide. [...]
Oubli de tout. Profonde descente dans la nuit de l’existence. Supplication infinie de l’ignorance, se noyer d’angoisse. Se glisser au-dessus de l’abîme et dans l’obscurité achevée en éprouver l’horreur. Trembler, désespérer, dans le froid de la solitude, dans le silence éternel de l’homme (sottise de toute phrase, illusoires réponses des phrases, seul le silence insensé de la nuit répond). [...]
Sentiment de complicité dans : le désespoir, la folie, l’amour, la supplication. Joie inhumaine, échevelée, de la communication, car désespoir, folie, amour, pas un point de l’espace vide qui ne soit désespoir, folie, amour et encore : rire, vertige, nausée, perte de soi jusqu’à la mort.
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Ainsi nous ne sommes rien, ni toi ni moi, auprès des paroles brûlantes qui pourraient aller de moi vers toi, imprimées sur un feuillet : car je n’aurai vécu que pour les écrire, et, s’il est vrai qu’elles s’adressent à toi, tu vivras d’avoir eu la force de les entendre.
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Pourquoi continuer à nous jouer nous-mêmes? Conduit par un instinct aveugle, le poète sent qu'il s'éloigne lentement des autres. Plus il entre dans les secrets "qui sont ceux des autres comme les siens" et plus il se sépare, plus il est seul. Sa solitude au fond de lui recommence le monde, mais ne le recommence que pour lui seul. Le poète, emporté trop loin, triomphe de son angoisse, mais non de celle des autres. Il ne peut être détourné d'un destin qui l'absorbe, loin duquel il dépérirait. Il lui faut s'en aller toujours un peu plus loin, c'est là son seul pays. Nul ne peut le guérir de n'être pas la foule.
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Le mot silence est encore un bruit, parler est en soi-même imaginer connaître, et pour ne plus connaître, il faudrait ne plus parler. Le sable eût-il laissé mes yeux s'ouvrir, j'ai parlé : les mots qui ne servent qu'à fuir, quand j'ai cessé de fuir me ramènent à la fuite. Mes yeux se sont ouverts, c'est vrai, mais il aurait fallu ne pas le dire, demeurer figé comme une bête. J'ai voulu parler, et, comme si les paroles portaient la pesanteur de mille sommeils, doucement comme semblant de ne pas voir, mes yeux se sont fermés. C'est par une "intime cessation de toute opération intellectuelle" que l'esprit est mis à nu. Sinon, le discours le maintient dans son petit tassement. Le discours, s'il le veut, peut souffler la tempête, quelque effort que je fasse, au coin du feu le vent ne peut glacer. La différence entre expérience intérieure et philosophie réside principalement en ce que, dans l'expérience, l'énoncé n'est rien, sinon un moyen et même, autant qu'un moyen, un obstacle ; ce qui compte n'est plus l'énoncé du vent, c'est le vent.
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Où commence le corps ?
Le corps commence nulle part.
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Ma recherche eut d’abord un objet double : le sacré, puis l’extase.
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