Citations sur L'expérience intérieure (99)
Je traîne en moi comme un fardeau le souci d'écrire ce livre. En vérité je suis "agi". Même si rien, absolument, ne répondait à l'idée que j'ai d'interlocuteurs (ou de lecteurs) nécessaires, l'idée seule agirait en moi. Je compose avec elle à tel point qu'on m'enlèverait un membre plus facilement.
On ne peut rien savoir de l'homme qui n'ai pris forme de phrase et l'engouement pour la poésie d'autre part fait d'intraduisibles suites de mots le sommet. L'extrême est ailleurs. Il n'est entièrement atteint que communiqué (l'homme est plusieurs, la solitude est le vide, la nullité, le mensonge). Qu'une expression quelconque en témoigne : l'extrême en est distinct. Il n'est jamais littérature. Si la poésie l'exprime, il en est distinct : au point de n'être pas poétique, car si la poésie l'a pour objet, elle ne l'atteint pas. Quand l'extrême est là, les moyens qui servent à l'atteindre n'y sont plus.
Evidemment l'extase est tout d'abord "savoir saisi", en particulier dans l'extrême dénuement et l'extrême construction du dénuement que, moi, ma vie et mon oeuvre écrite représentons (cela je le sais, personne jamais n'a porté le savoir aussi loin, personne n'a pu, mais pour moi, ce fut facile -obligatoire).
Un sentiment d'impuissance : du désordre apparent de mes idées, j'ai la clé mais je n'ai pas le temps d'ouvrir. Détresse fermée, solitaire, l'ambition que j'ai formé si grande que... je voudrais, moi aussi, me coucher, pleurer, m'endormir. Je reste là, quelques instants de plus, voulant forcer le sort, et brisé.
J'oppose à la poésie l'expérience du possible. Il s'agit moins de contemplation que de déchirement.
(...) il le fallait bien, rien ne résiste à la nécessité d'aller plus loin. S'il en était besoin, la démence serait le paiement.
Chaque être humain n'allant pas à l'extrême est le "serviteur" ou "l'ennemi de l'homme. Dans la mesure ou il ne pourvoit pas, par quelque besogne servile, à la subsistance commune, sa désertion concours à donner à l'homme un destin méprisable.
L'angoisse, évidemment, ne s'apprend pas. On la provoquerait ? c'est possible : je n'y crois guère. On peut en agiter la lie... Si quelqu'un avoue l'angoisse, il faut montrer le néant de ses raisons. Il imagine l'issue de ses tourments : s'il avait plus d'argent, une femme, une autre vie... La niaiserie de l'angoisse est infinie.
Qui ne meurt pas de n'être qu'un homme ne sera jamais qu'un homme.
J'échoue, quoi que j'écrive, en ceci que je devrais lie, à la précision du sens, la richesse infinie - insensée - des possibles. A cette besogne de Danaïde, je suis astreint - gaiement ? - peut-être, car je ne puis concevoir ma vie désormais, sinon clouée à "l'extrême du possible" (Cela suppose d'abord une intelligence surhumaine, quand j'ai dû souvent recourir à l'intelligence d'autrui, plus habile... Mais que faire ? oublier ? aussitôt, je le sens, je serai fou : on comprend mal encore la misère d'un esprit "dévêtu".)