Citations sur Viva la vida (24)
C’est si fragile et si fort une vie.
Il ne se passe rien à Ciudad Juárez, c'est ça qu'il se passe ici. Rien. À vivre ici, on devient comme tout le monde, on ne voit plus de solution, plus d'espoir pour l'avenir. Tous les matins, on ouvre le journal et on découvre de nouveaux crimes, plus horribles les uns que les autres. Et après ? Ben rien, il y a toujours d'autres crimes. On voit des flics, des militaires… et puis après ?... La nuit tombe, on rentre se cacher, le jour se lève, on achète le journal. Rien de nouveau.
Miguel veut nous montrer sa ville, quand elle était encore heureuse, quand les touristes venaient remplis les comptoirs et que les nuits étaient vivantes. Avant la montée de la violence, il y a trois ans à peine. Miguel Angel est né dans les années 60, au milieu d'une famille de 8 enfants. Miguel a grandi dans un quartier populaire du centre-ville, où il dit avoir été l'enfant le plus heureux du monde. Il a tenu un bar quand il était jeune, un bar avec du rock'n'roll. Miguel est un poète. Par un poète en chambre. Un poète dans la vie. Il aime les fous de son époque : Dali, les Pink Floyd, et le grand Hemingway. Aujourd'hui Miguel publie toujours des poèmes, mais il écrit surtout des articles dans les journaux, des billets d'humeur et d'opinion sur le monde qui l'entoure. Il a reçu l'année dernier le premier prix de journalisme. Il y a un peu plus de quatre ans, Miguel a eu une embolie cérébrale. Un mois et 13 jours de coma. Un an cloué au lit sans pouvoir parler. Des milliers d'heures de rééducation. Maintenant, il peut conduire, et il marche avec une canne. Une partie de son corps reste encore endormi. Et moi qui ne crois en rien, je me dis en le voyant qu'il y a toujours moyen de sortir du pire. Pour moi, il est l'image d'espoir de cette ville.
Le jour se lève. Une ombre mécanique glisse sur le désert. L'Amérique des chevaux, l'Amérique des westerns, une nostalgie à laquelle personne l'échappe. Les grosses voitures, les grands paysages, sur la route e Kerouac. Une fuite éperdue dans la liberté inventée du passé pour oublier les véritables prisons d'aujourd'hui. Dans l'habitacle des camionetas, on se sent à l'abri. Dehors la réalité s'estompe. Pourtant ici, c'est presque toujours dans les voitures qu'on tue, qu'on retrouve les morts.
Je ne comprends pas grand-chose, mais la musique des mots est belle.
Je suis à Juárez. Je me le répète Ciudad Juárez, une ville qui invente la mythologie de demain. Cette ville qui a pour nom celui d'un libérateur, en face d'une autre qui s'appelle Le Passage. Leurs deux noms, ça peut déjà faire un roman. Dans cette ville, j'échange des portraits contre des rêves, des surfaces de rêves. Il faudrait que je puisse dire ce que je vois à chaque fois, ce qui passe dans les yeux, cette volonté d'exprimer l'essentiel qui ne peut sortir. Au début de la rencontre, c'est l'étonnement de voir là deux étrangers venus juste pour leur donner l'image d'eux-mêmes, souvent mal traduite, en paiement de quelques mots, d'une phrase disant toute une vie. C'est si fragile et si fort une vie.
On est dans le bus pour Juárez. Dans trois heures on arrive. Arriver, tout arrive, les départs aussi. J'ai tellement voulu arriver là. J'y suis. Dans un mois, qu'est-ce que j'aurai appris, désappris ? De l'autre côté de la vitre, c'est le désert. Des tourbillons de sable s'élèvent, s'évanouissent, que disent-ils ?
Le nationalisme est comme la culture de l'inculte, la religion de l'esprit de clocher et un rideau de fumée derrière lequel nichent, le préjugé, la violence, le racisme. – Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010
Notre idée, c'est : trouver des lieux où l'on peut dessiner. Faire le portrait de ceux qui voudront bien, leur demander : Quel est votre rêve ? Dire la vie dans cette ville où on meurt.
Je me souviens que je marchais sur plage à Tanger. Un vent violent venant de l'intérieur des terres soulevait le sable qui faisait comme une rivière à la hauteur de mes genoux. Cette rivière de sable se précipitait vers la mer, et là, comme des fauves, les deux vagues en furie s'embrassaient. Le mariage de l'Atlantique avec l'Afrique. Un peu plus tard, j'étais sur une autre plage à Casablanca. Dans la chaleur blanche de la côte, jusqu'à sa limite invisible, des ballons de foot dessinaient des arabesques. Des équipes de trois, quatre, ou cinq garçons jonglaient avec des ballons qui montaient, descendaient dans un ciel en feu. Des milliers de jeunes gens. Un jour de semaine. J'ai marché au milieu d'eux et puis j'ai abandonné avec la sensation que cette plage faisait le tour de l'Afrique. Je pensais au détroit de Gibraltar. Combien de kilomètres de fil de fer barbelé faudra-t-il déployer au milieu de la Méditerranée pour interdire à l'Afrique d'accoster sur les rives de l'Europe ? Qu'est-ce que Ciudad Juárez ? La frontière des frontières ?