AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La terre qui meurt (9)

La porte du jardin s'ouvrit ; un homme s'avança, de haute taille lui aussi, trop gros, vêtu d'un complet de flanelle blanche et coiffé d'une casquette de même étoffe. Dans sa figure rasée ses petits yeux papillotaient , gênés sans doute par la brusque diminution de la lumière. C'était M. Meffray, le grand électeur de Challans, demi-bourgeois ambitieux, animé d'une haine secrète contre les paysans, et qui, sorti de leur race, vivant à côté d'eux dans un bourg, n'avait cependant plus que l'intelligence de leurs défauts , dont il usait . Averti de la façon dont Lumineau s'était présenté, redoutant des scènes violentes, il s'arrêta près de la première marche de l'escalier, posa le coude sur la rampe, porta trois doigts à sa casquette, et dit négligemment :
-On aurait dû vous faire entrer métayer. Mais enfin, puisque vous êtes pressé , parait-il, nous pouvons causer ici. J'ai rendu service à votre fils : est-ce à cause de cela que vous venez ?
-Justement dit Lumineau.
-Si je peux vous servir à quelque chose ?
-Je veux garder mon gars , monsieur Meffray
Commenter  J’apprécie          70
C'étaient quatre boeufs superbes, précédés par une jument grise : Noblet,Cavalier,Paladin et Matelot, tous de même robe fauve, avec des cornes évasées, l'échine haute, l'allure lente et souple. Trainant la charrue, dont le soc était relevé, ils gravissaient la pente, et quand une pousse de ronce, tendue en travers de la route, tentait leur mufle baveux, ils ralentissaient ensemble l'effort, et la chaîne de fer, qui liait le premier couple au timon, touchait terre et sonnait. François , le long de leurs flancs, s'en allait , tout sombre. Une pensée l'occupait, qui n'était point celle du travail quotidien.
Commenter  J’apprécie          60
Entre les troncs des ormes, à plusieurs centaines de mètres au sud, le rose lavé des tuiles s’encadrait en émaux irréguliers. Le vent apportait le mugissement du bétail qui rentrait, l’odeur des étables, celle de la camomille et des fenouils qui foisonnaient dans l’aire. Toute l’image de sa ferme se levait pour moins que cela dans l’âme du métayer.
Commenter  J’apprécie          60
La maison n'avait qu'un étage et une fenêtre, comme ses voisines. Toussaint Lumineau poussa la porte, et entra dans une salle de café meublée de tables de bois blanc, de tabourets de paille et d'une armoire vitrée, où étaient rangées des bouteilles de liqueurs entamées et, en bas, des assiettes de viandes froides entre deux boites de gâteaux secs. Il n'y avait là personne. Lumineau se planta droit au milieu de l'appartement. Une sonnette, mise en mouvement par l'entrée du métayer, continuait de s'agiter, fêlée, de plus en plus faible. Avant que le carillon eût cessé, une seconde porte s'ouvrit en face de la première, le long du buffet ; un coup de vent souffla des odeurs de cuisine , et une femme coiffée en cheveux s'avança, clignant des yeux et se balançant sur ses hanches. Bien qu'il se trouvât à contre-jour, elle reconnut aussitôt le visiteur, rougit beaucoup, laissa tomber le coin de son tablier qu'elle tenait de ses deux mains croisées, appliqué sur son ventre, et s'arrêta net.

-Oh ! dit-elle, le père ! En voilà une surprise ! Depuis le temps qu'on ne s'est vu !
-Oui, c'est vrai : il y a longtemps.
Commenter  J’apprécie          50
Un parfum de forêt mouillée s'élevait vers le ciel calme et laiteux. Il ne faisait pas de brise ;aucun oiseau ne chantait ; la campagne semblait uniquement attentive aux dernières gouttes, formées pendant la nuit , et qui s'écrasaient au pied des arbres avec des vibrations de métal. Quelque chose avait dû mourir , dont le monde demeurait accablé. Et , en effet, sur les collines de Challans, au large de la Fromentière, le grincement lointain d'une charrue, les appels d'un toucheur de boeufs, disaient le commencement des labours d'automne.
Commenter  J’apprécie          40
Une nouvelle année commença. L’hiver était pluvieux, mais il gelait toutes les nuits. On voyait, au matin, les fils d’araignée, tendus d’une motte à l’autre et couverts de brume glacée, remuer au vent comme des ailes blanches. La glèbe fumait au soleil tardif, et les ailes blanches devenaient grises. Les plus gros travaux de la campagne étaient suspendus. Les hommes des terres hautes abattaient quelques souches ou remplaçaient des barrières. Ceux du Marais ne faisaient plus rien. Pour eux, les vacances étaient venues. Les fossés et les étiers débordaient. la plupart des fermes, enveloppées par les eaux et comme flottantes au-dessus d’elles, n’avaient de communication avec les bourgs ou entre elles qu’au moyen des yoles remises à neuf, qui couraient en tous sens sur les prés inondés. C’était le temps joyeux des veillées et des chasses.
Le sol n’était cependant pas si dur qu’on ne pût le défoncer, et Toussaint Lumineau avait résolu, selon le conseil donné par Mathurin, d’arracher la vigne qui dépendait de la Fromentière, et que le phylloxéra avait détruite.
Le métayer et André montèrent donc jusqu’au petit champ bien exposé au midi, sur la hauteur dénudée que coupe la route de Challans à Fromentine. Ils avaient devant eux, et ne voyaient pas autre chose, sept planches de vieille vigne entre quatre haies d’ajonc, un sol caillouteux, et les ailes de deux moulins qui tournaient.
- Attaque une des planches, dit le métayer; moi, j’attaquerai celle d’à côté.
Et enlevant leur veste, malgré le froid, car le travail allait être rude, ils se mirent à arracher la vigne. L’un et l’autre, ils avaient causé d’assez belle humeur en faisant la route. Mais, dès qu’ils eurent commencé à bêcher, ils devinrent tristes et ils se turent pour ne pas se communiquer les idées que leur inspiraient leur œuvre de mort et cette fin de la vigne.
Lorsqu’une racine résistait par trop, le père essaya deux ou trois fois de plaisanter et de dire : « Elle se trouvait bien là, vois-tu; elle a du mal à s’en aller », ou quelque chose d’approchant. Il y renonça bientôt. Il ne réussissait point à écarter de lui-même, ni de l’enfant qui travaillait près de lui, la pensée pénible du temps où la vigne prospérait, où elle donnait abondamment un vin blanc, aigrelet et mousseux, qu’on buvait dans la joie les jours de fête passés. La comparaison de l’état ancien de ses affaires avec la médiocre fortune d’aujourd’hui l’importunait. Elle pesait plus lourdement encore, et il s’en doutait bien, sur l’esprit de son fils André. Silencieux, ils levaient donc et ils abattaient sur le sol leur pioche d’ancien modèle, forgée pour des géants. La terre volait en éclats; la souche frémissait; quelques feuilles recroquevillées, restées sur les sarments, tombaient et fuyaient au vent, avec des craquements de verre brisé; le pied de l’arbuste apparaissait tout entier, vigoureux et difforme, vêtu en haut de la mousse verte où l’eau des rosées et des pluies s’était conservée pendant les étés lointains, tordu en bas et mince comme une vrille. Les cicatrices des branches coupées par les vignerons ne se comptaient plus. Cette vigne avait un âge dont nul ne se souvenait. Chaque année, depuis qu’il avait conscience des choses, Driot avait taillé la vigne, biné la vigne, cueilli le raisin de la vigne, bu le vin de la vigne. et elle mourait. Chaque fois que, sur le pivot d’une racine, il donnait le coup de grâce, qui tranchait la vie définitivement, il éprouvait une peine; chaque fois que, par la chevelure depuis deux ans inculte, il empoignait ce bois inutile et le jetait sur le tas que formaient les autres souches arrachées, il haussait les épaules, de dépit et de rage. Mortes les veines cachées par où montait pour tous la joie du vin nouveau ! Mortes les branches mères que le poids des grappes inclinait, dont le pampre ruisselait à terre et traînait comme une robe d’or ! Jamais plus la fleur de la vigne, avec ses étoiles pâles et ses gouttes de miel, n’attirerait les moucherons d’été, et ne répandrait dans la campagne et jusqu’à la Fromentière son parfum de réséda ! Jamais les enfants de la métairie, ceux qui viendraient, ne passeraient la main par les trous de la haie pour saisir les grappes du bord ! Jamais plus les femmes n’emporteraient les hottées de vendange ! Le vin, d’ici longtemps, serait plus rare à la ferme, et ne serait plus de « chez nous ». Quelque chose de familial, une richesse héréditaire et sacrée, périssait avec la vigne, servante ancienne et fidèle des Lumineau.
Ils avaient, l’un et l’autre, le sentiment si profond de cette perte, que le père ne put s’empêcher de dire, à la nuit tombante, en relevant une dernière fois sa pioche pour la mettre sur son épaule :
- Vilain métier, Driot, que nous avons fait aujourd’hui !
Commenter  J’apprécie          30
Les ténèbres cependant n’étaient pas entières. Il y avait là-haut, dans le gris du ciel, des traînées plus pâles, des mailles claires continuellement déformées et brisées par le mouvement des nuées, et que reflétait au passage la surface des eaux : non plus seulement celle des fossés, mais la nappe elle-même des prés, inondés par les pluies d’hiver, changés en autant de lacs, d’où émergeait à peine le dos rond des talus. Toute lueur était multipliée. L’ombre avait des remous de clarté. Et cela permettait à André de ne pas se tromper de route. La yole suivait les canaux qui se coupent à angle droit. Elle n’avançait que lentement, contrariée par les aiguilles de glace, que le froid formait et lançait en gerbes autour des herbes et des cailloux du bord.
Commenter  J’apprécie          00
L’après-midi de ce dimanche d’automne fut marqué par une paix plus profonde encore qu’à l’ordinaire. L’air était tiède ; la lumière voilée ; le vent, qui s’était levé avec la mer et poussait plus loin qu’elle sa marée, en traversant l’immense plaine herbeuse, ne récoltait pas un bruit de travail, pas une plainte de charrue, pas un heurt de pelle, de marteau ou de hache. Les cloches seules parlaient haut. Elles se répondaient les unes aux autres, celles de Sallertaine, du Perrier, de Saint-Gervais, de Challans, qui a une église neuve pareille à une cathédrale, de Soullans caché dans les arbres des terres montantes.
Commenter  J’apprécie          00
Le vent les poussait d’un même mouvement, vers les côtes prochaines. Avec la lenteur d’un vaisseau chargé, il emportait, vers la mer vivante, le baiser de la vie terrestre, le parfum et le tressaillement des végétations, les graines envolées, les germes mêlés de poussière, qui tombaient çà et là en pluie mystérieuse, le cri d’innombrables bêtes, qui n’ont guère d’autre témoin que lui et qui chantent dans les forêts de l’herbe. Un contentement passait, une marée tranquille et féconde, qui allait rejoindre l’autre, et courir sur elle, et répandre jusque dans les solitudes du large l’odeur des moissons de France.
Commenter  J’apprécie          00




    Lecteurs (101) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Jésus qui est-il ?

    Jésus était-il vraiment Juif ?

    Oui
    Non
    Plutôt Zen
    Catholique

    10 questions
    1833 lecteurs ont répondu
    Thèmes : christianisme , religion , bibleCréer un quiz sur ce livre

    {* *}