Sage Fowler. Il connaissait déjà son nom, mais l'entendre de sa bouche avait été un véritable cadeau. Elle lui faisait confiance. Elle avait voulu tout lui avouer, comme lui-même en brûlait d'envie.
C’était peut-être ça, la mort: être privé de tous ses sens et condamné à une errance sans fin, dans le noir.
Un homme pouvait certes s’adresser à une marieuse pour lui faire savoir qu’une jeune femme lui plaisait mais, en fin de compte, c’était toujours l’entremetteuse qui décidait si les deux candidats au mariage devaient être unis. Le plus souvent, les époux ne savaient presque rien l’un de l’autre avant la cérémonie. Pour le futur couple, partir de zéro était considéré comme de bon augure.
Son nom lui-même – celui d’une plante, tout comme celui de Sage – attestait de son statut d’enfant illégitime… Ainsi le voulait la tradition. L’enfant n’y était pour rien, bien sûr, mais la jeune fille ne comprenait pas comment sa tante avait pu pardonner à son mari un tel écart de conduite.
C’était une habitude chez lui : la congédier sans autre forme de procès. Sage, qui brûlait de forcer son oncle à lui accorder ne serait-ce qu’une once d’attention, vit rouge tout à coup, prise de l’envie soudaine de se jeter sur lui par-dessus le bureau… mais voilà qui, en l’occurrence, aurait vraiment fait honte à son père.
Il n’avait sans doute rencontré de sa vie pire menace que celle d’un mendiant trop agressif… La seule chose vraiment en danger chez lui, c’était justement cette ceinture, mise un peu plus à mal chaque jour par sa bedaine toujours plus prononcée.
Quel gâchis, tout ce papier… C’était le genre de luxe que la maison pouvait se permettre mais, même après quatre années sous ce toit, Sage, pour sa part, peinait encore à jeter le moindre objet. Elle avait trop souffert de privations pour agir autrement. Elle arrêta finalement son choix, au milieu d’une des piles de livres, sur un petit manuel d’histoire particulièrement aride qu’elle n’avait pas consulté depuis plus d’une semaine.