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Critique de Athanase45


Si une charogne m'était contée.

« Imaginez que la charogne croisée par Baudelaire au bras de Jeanne Duval se mette à parler et à raconter son histoire – Vous avez 128 pages »
À la veille de fêter les deux-cents ans de la naissance de Baudelaire, Clémentine Beauvais vient de jeter dans la mare poétique un petit pavé en vers libres qui redonne la parole à un tas de chair en putréfaction. Si ce tas fut bien une femme, alors il faut, dans l'urgence, rendre raison ou déraison de l'abandon aux bêtes de sa dépouille mortelle, en pleine nature, sans sépulture. Beauvais puise dans la vision décomposée qu'impose le poète la force de recomposer une vie et un cénotaphe. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les vers y sont pour quelque chose dans les deux sens du processus que déploie cette fanfiction baudelairienne. C'est à une violente visitation de la violente condition féminine que nous convie Beauvais, qui manie le scalpel des mots comme la prostituée Grâce – c'est le nom inventé de la charogne – manie les aciers aiguisés de ses arts successifs de chirurgienne, avorteuse puis tueuse d'hommes faillis. Elle redonne aussi la parole à Jeanne, la muse métissée du poète, suggérant dans une série d'échanges avec Charles que c'est elle qui invente l'histoire de Grâce, que c'est elle qui est la véritable autrice du poème. Jeanne relaie la voix de la charogne, d'autant plus que Charles va lui prédire le même sort. On voudrait souffler à la muse le refrain de Marquise, de Tristan Bernard, repris par Brassens : « J'ai vingt-six ans mon vieux Corneille, et je t'emmerde en attendant ». le poème de Beauvais fraye son chemin dans un tourbillon vertigineux de mises en abymes qui troublent jusqu'à l'écoulement du temps. Au-dessus de ces abîmes planent les petits anges d'une faiseuse qui n'est pas dans le déni de ses actes, impitoyablement reflétés par l'éclat de ses outils de vie et de mort mêlés. C'est d'ailleurs l'une des forces de Beauvais d'écarter tout mensonge face aux destins de Grâce et de Jeanne, de ces deux femmes, faites de toutes les femmes, qui les valent toutes et que vaut n'importe laquelle*.

* bien sûr, je paraphrase ici le final des Mots de Sartre 🙂
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