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EAN : 9782378801960
L' Iconoclaste (08/04/2021)
4.23/5   177 notes
Résumé :
"Toi, le poète qui passe
avec ta muse sous le bras (...)
écoute ma musique,
tandis que je me décompose."
Au bord d'un chemin, une femme gît, en décomposition.
Passant par là au bras de son aimée, un poète se délecte de cette vue infâme.
Clémentine Beauvais revisite avec audace le célèbre poème " Une charogne " de Charles Baudelaire. Elle imagine le destin de cette femme que l'histoire a bafouée, la faisant prostituée, chirur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (68) Voir plus Ajouter une critique
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Lorsque j'ai été percutée par la beauté des Fleurs du Mal au lycée, La Charogne est le poème du recueil qui m'a le plus fascinée, sidérant de violence inattendue dans les mots d'un poète qui,s'adressant à son amante, lui prédit d'être une jour, elle aussi, mangée par une vermine qui la couvrira de baisers.

Dans ce roman en vers libres, absolument éblouissant, Clémentine Beauvais, donne une voix à la charogne, incarnée sous les traits de Grâce. Elle raconte sa vie à Jeanne Duval, la muse de Baudelaire, lorsque celle-ci rencontre sa carcasse pourrissant au détour d'un sentier. L'auteure s'empare du duo Grâce – Jeanne avec une liberté formelle vivifiante. le récit de poésie narrative ne s'enferre jamais dans un genre, rebondit dans plusieurs. Un anti-sclérose littéraire, tour à tour poétique, théâtral, sociétal, graphique, porté par une écriture savoureuse, à la fois lyrique et crue, narquoise et puissante. le travail sur la langue est remarquable, emplie de sensations, d'images, jouant sur le placement des mots sur la page sans que cela ne sente la pause ou la facilité.

Le texte, découpé en lieux ( « détour d'un sentier », « montagne », « ravin », « tout un monde lointain », « rue de la femme sans tête » etc ), choisit de mettre Baudelaire en retrait pour placer sous la lumière les deux femmes, Grâce et Jeanne. Superbe choix, politique, féministe, qui accouche d'une réflexion très générale sur la condition féminine.

On est très loin des muses du XIXème siècle à l'image figée par le regard masculin des grands artistes. le destin tragique de Grâce, couturière, prostituée, chirurgienne d'instinct, avorteuse puis tueuse, embrasse son désir d'émancipation et les difficultés auxquelles se heurte sa condition sociale défavorisée. Elle évolue avec les conditions de liberté qui lui sont données, minimales. le corps féminin est au coeur de ses tensions, jusqu'à sa putréfaction impudique, au détour d'un chantier.

Pour autant, jamais Clémentine Beauvais ne tombe dans le manichéisme et présente ses personnages féminins avec toutes leurs intrications contradictoires, leur violence aussi. La sororité, elle-même, n'est pas glorifiée comme une utopie souriante mais décrite dans sa complexité, les femmes sachant se faire les bourreaux de leurs consoeurs lorsqu'il faut rentrer dans la norme.

Cette revisite audacieuse, créative et originale du poème de Baudelaire m'a immédiatement plu, dès les premières pages qui m'ont bousculée et touchée , parlant aussi bien à l'intellect qu'au coeur. Réjouissant !

Ps : ce texte est le sixième publié par la collection Iconop ( dirigée par Cécile Coulon et Alexandre Bord ), projet littéraire fort excitant des éditions L'Iconoclaste mettant à l'honneur d'une poésie contemporaine sans entrave.
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Décomposée la charogne du célèbre poème de Baudelaire, Décomposés les amours du poète ;
Recomposée par les mots de Clémentine Beauvais l'histoire de celle qui fut femme avant d'être pourriture.
Dans un livre à la présentation originale, aux mots jetés dans un désordre savant, long poème en prose, ponctué de dialogues entre l'écrivain et sa muse, l'auteure invente la vie de cette charogne prénommée Grâce, contraste saisissant entre l'image qu'évoque ce prénom, tout en douceur, légèreté, et le réalisme cru de la description de ce cadavre, entre cette image et la vie de cette femme, qui ne connaitre que de rares moments de grâce.
J'ai aimé cette femme, qui va servir les autres femmes, de différentes manières, au cours de sa vie, celles-ci devenant au cours des désillusions qu'elle éprouve de plus en plus radicales :
« L'objet qui a servi à coudre les vêtements,
à réparer les plaies béantes,
à décrocher les enfants, sert
aujourd'hui à tout autre chose ;
à perforer les hommes gras et roses,
bourrés de bonne chère, repus des chairs
moroses
des femmes grises des maisons closes. »
Sur ce sentier, cette femme disparait, ses souvenirs s'évanouissent peu à peu, mais le dialogue s'ouvre avec Jeanne, Jeanne la muse du poète, dont l'auteure ne donne pas une vision bien sympathique. Il est celui qui ne peut voir qu'une prostituée dans cette femme morte les jambes en l'air. Il est celui qui pense la femme inférieure, prompte à se pâmer, alors que c'est lui qui manque défaillir :
« JEANNE pas un instant pas une seconde
je ne crus m'évanouir
CHARLES Jeanne je sais ce que j'ai vu ce que j'ai senti
pas la peine de me mentir :
La puanteur était si forte que sur l'herbe vous crûtes vous évanouir.
Jeanne vous riez pourquoi riez-vous ?
JEANNE mais parce qu'enfin qui dit crûtes ?
qui, avec sérieux, peut dire :
crûtes ?
crûtes est un mot qui fait rire »
Les deux femmes ont pris le pouvoir, dans ce texte, miroir impitoyable d'une société où il ne faisait pas bon naitre femme. J'admire la force de ce texte qui en peu de pages, livre un portait émouvant ancré dans la réalité de son époque.
Et ce petit livre rejoint mon étagère des livres que j'aime rouvrir, y glanant une phrasé de ci de là, parce qu'il est beau, parce qu'il est aussi le souvenir d'une parenthèse appréciée avec une personne qui m'est chère, à une époque difficile pour moi.
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Encore une fois les fées vous nous proposez une lecture originale qui ici peut-être considérée comme un véritable ovni !

Clémentine Beauvais est une auteure qui a de nombreuses cordes à son arc. Après s'être essayée à la littérature jeunesse, young adult ou encore à la romance, notre jeune écrivaine s'aventure dans un nouveau genre; celui de la poésie. Par sa plume qui donne vie à des vers, Clémentine va revisiter l'une des oeuvres les plus connues de Charles Baudelaire: "Une Charogne".  Qui est donc ce cadavre qui gît sur le bord de la route et qui est en train de se faire dévorer par les insectes? Au fil des chapitres, Clémentine Bauvais va nous entraîner dans son imagination débordante pour redonner vie à ce corps.

Roman engagé et très poétique, cet ouvrage ne laissera pas indifférent de par sa forme et de son contenu. Je tiens à féliciter notre autrice qui sait se réinventer et qui ose s'aventurer dans des genres très variés.
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À l'heure où la nuit se fait fraîche,
Où l'on entend les premiers sifflotements
D'oiseaux impatients de la lumière du jour,
Je me glisse dans la peau de Jeanne.

Tourmente des amours décomposés
De Charles,
Exotique muse invitant au voyage,
Tu fais naître en moi bien des curiosités.

Mais dans quel macabre dessein
Te fit poser Baudelaire
Cette charogne impudique
Qui à n'en pas douter se pare de tes traits.

Clémentine s'y est laissée tenter,
De sa prose en vers magnifique
Elle fit de la charogne,
Une belle monstrueuse.




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L'essence divine de mes amours décomposés

Clémentine Beauvais est la nouvelle pépite dénichée par Cécile Coulon pour sa collection Iconopop. Ce roman écrit en vers libres rend à la fois hommage à Baudelaire, à sa muse et aux femmes. Idéal pour fêter le «Printemps de la poésie».

Écrit en vers libres, ce roman s'inspire d'un poème de Baudelaire et pourrait être une belle manière de rendre hommage au poète dont nous avons célébré en avril 2021 le 200e anniversaire de la naissance. Voici ce poème, qui vous éclairera sur la démarche de Clémentine Beauvais:
Une charogne
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés!

Dans ce livre, la charogne s'appelle Grâce. Elle va dialoguer avec Jeanne, la compagne et muse de Baudelaire, qui la découvre au hasard d'un chemin, en se promenant au bras de Charles. le dialogue entre les deux femmes va se nourrir au fil des pages, comme un ruisseau devenant rivière, de leurs expériences, de leurs combats, de leurs souffrances. Car on reste bien dans la violence et la souffrance du poème. Et si on peut lire ce texte comme un chemin vers l'émancipation, on comprend d'emblée que cette soif de liberté se paiera par la mort.
Grâce va refuser de se fondre dans le moule et si comme ses consoeurs apprend à manier l'aiguille, ce n'est pas pour broder un trousseau, mais pour développer une habileté manuelle qui va la mener à devenir une faiseuse d'anges, tout en s'interrogeant sur le bien-fondé de sa chirurgie. Rattrapé par les hommes qui entendent décider ce qu'il convient de faire du corps des femmes, elle va susciter la colère de Jeanne qui réclame vengeance et qui, comme Baudelaire, va redonner la parole à la victime
« Tout mon corps veut que ça tranche
que ça blesse que ça saigne tout veut vengeance tout tremble de haine
mes yeux sont des dagues ma langue danse flamme de l'enfer
mes mains mes aiguilles mes pieds tarentelle des démons
et c'est alors que je prends ma nouvelle décision: j'ai couché avec eux j'ai été couchée par eux, sous eux, j'ai recousu ce qu'ils avaient cassé j'ai endormi leurs enfants perdus et maintenant je vais les tuer les tuer,
les hommes, les tuer dans leur sommeil
les tuer dans leurs calèches les tuer dans leurs salons les tuer dans leurs fauteuils
les tuer chez les femmes où ils cherchent refuge, les tuer jusqu'à ce qu'ils crient Grâce »
Cécile Coulon, qui dirige cette collection avec Alexandre Bord, a expliqué sa démarche sur les antennes de France Culture, soulignant que si on n'arrive pas à définir la poésie, on la reconnaît quand elle est là: «Je suis certaine que ce qui définit la poésie contemporaine c'est que, quand on est face à elle, que ce soit dans une salle de spectacle, dans une librairie ou sur internet on se dit: Je suis en train d'écouter ou de lire quelque chose qui me touche de manière si forte, que c'est forcément de la poésie.» En refermant ce livre de Clémentine Beauvais, on ne peut que lui donner raison.



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Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Faites en des poèmes. Je préfère cela à la tombe,
à la pierre roussie de lichen, je préfère.
C'est ma dernière coquetterie.
Toi, le poète qui passe, avec ta muse sous le bras, (...)
tu feras l'affaire.
Ecoute ma musique, tandis que je me décompose.
Et pendant que je vous inspire,
et pendant que vous m'inspirez,
que votre souffle se sature
de mes humeurs disséminées,
juste avant que je disparaisse
absorbée par la terre et les bestioles,
ou la nature, ou autre chose, me rappelle,
laissez moi me rappeler.
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Oh, Camille, qui m'a tuée ?
qui m'a tuée pour que je fasse aux cailloux nos étreintes
qui m'a tuée pour que notre mémoire dure
dans la poix noire que je suinte
dans les oiseaux de proie
dans les petits gosiers des boutons-d'or
qui m'a tuée pour que nous soyons là
partout nous deux
un peu
encore ?
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L'objet qui a servi à coudre les vêtements,
à réparer les plaies béantes,
à décrocher les enfants, sert
aujourd'hui à tout autre chose ;
à perforer les hommes gras et roses,
bourrés de bonne chère, repus des chairs
moroses
des femmes grises des maisons closes.
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  C’est l’homme qui n’a pas été comme les hommes  que j’ai connus avant, que les petites sœurs  ont connus, que les amies qui étaient comme des sœurs  ont connus.C’est l’homme qui a été diérent.  Mon amour avec lui c’était de ces amours d’enfance   fouineurs d’espaces ombragés,  de fontaines discrètes, des baldaquins des saules,  des greniers froids, fragrants, au milieu de l’été,  d’où l’on entend par les lucarnes   les voix adultes,  étouées de soleil et d’aairement ;    vite ! on a quelques minutes,  soi et l’autre que soi, garçon ou fille,  quelques minutes et les chocs malhabiles  qu’on s’apprend l’un à l’autre et à soi-même,  entre corps et vêtements et sol de bois,  confus, et qui allument nouvellement  tel pignon de nos peaux, telles chairs vibratiles.Jeanne des îles, les enfants des îles ont-ils aussices minutes nerveuses certains après midi !
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Et adieu Jeanne. Merci de m’avoir laissée entrer
en toi, qui es semblable à moi.
Non pas parce que nous serons toutes deux ordures,
mais parce que tu es ma sœur ;
ou comme une sœur.
Parce que toi aussi ta mémoire perdure
à travers les mots du poète,
et ton histoire comme la mienne est perdue,
évanouie entre les brins d’herbe,
racontée à peine avant la perte ;
entre un matin d’été si doux et le suivant,
entre le temps des morts et celui des vivants.
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Vidéo de Clémentine Beauvais
Les Petites Reines, lecture dessinée
À l'occasion de l'adaptation du titre en bande dessinée aux éditions Sarbacane, deux queens de la littérature de jeunesse se partagent le plateau du Live. Avec l'autrice Clémentine Beauvais et l'autrice-dessinatrice Magali le Huche.
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