A dix ans, j'étais obsédée par le fait de préserver mon journal de toute inexactitude. Mais avec l'âge, les faits bruts cédèrent aux caprices des émotions et des opinions. Une fausse humilité, une calligraphie énervée et l'auto-dénigrement vinrent obscurcir mon témoignage...
Suivant leur exemple, j'appris vite à me sustenter seule. C'était toutefois un cercle vicieux. Plus nous trouvions de gratification dans nos génies respectifs, plus nous nous isolions.
Il nous était formellement interdit de monter dans les cercueils. Mais il restait le chariot de chaises pliantes. Les portes-couronnes emboîtables. Les drapeaux à ventouse pour les capots des voitures de la procession. Et les capsules de sels à respirer. Ils servaient à réanimer les gens qui s'évanouissaient sous l'effet du choc ou du chagrin, ce qui, malheureusement, n'arrivait jamais.
- Maman, pourquoi tu vas jamais dehors?
- Je t'ai dit, je suis un vampire.
J'ai beau être intarissable sur les défauts de mon père, impossible de rester longtemps en colère contre lui. Sans doute parce qu'il est mort, et parce qu'on place la barre moins haut pour les pères que pour les mères.
Il utilisait son adresse non pour fabriquer des choses, mais pour que les choses paraissent ce qu'elles n'étaient pas. C'est-à-dire parfaites. Par exemple, il passait pour un mari et un père idéal. Mais un mari, un père idéal a-t-il des relations sexuelles avec des mineurs?
A quoi ça sert de faire un truc aussi dur à épousseter?
J'en vins à détester sa façon de traiter ses meubles comme des enfants et ses enfants comme des meubles.
Parfois, quand tout allait bien, je crois que mon père aimait vraiment avoir une famille. Du moins, la touche d'authenticité que nous apportions à son tableau. Une nature morte avec enfants. De plus, mes frères et moi offrions une main-d'oeuvre gratuite. Il nous considérait comme des extensions de son corps, des bras-robots de précision.
- C'est la papier peint de ma chambre? Mais je HAIS le rose! Je HAIS les fleurs roses!
- Pas de bol.