Ton père, dire la vérité? Tu veux rire.
Qui embaume le croque-mort quand il meurt?
Sa mort a probablement été son artifice ultime, son coup de maître.
Sa gentillesse était aussi incandescente que sa colère était sombre.
De tous les passe-temps de mon père, son goût du jardinage était pour moi le plus évocateur d’un autre penchant bien plus troublant. Quel homme, sinon une chochotte, pouvait aimer les fleurs avec tant d’ardeur ?
Cette gêne n’était qu’un modèle réduit de la haine de soi pleine et entière qu’éprouvait mon père. Sa honte habitait notre maison, aussi invisible et envahissante que le musc aromatique du vieil acajou.
Quand d’autres enfants appelaient notre maison un manoir, je protestais. Je détestais cette façon d’insinuer que ma famille était riche ou différente. En fait nous étions différents, même si je n’ai su que bien plus tard à quel point c’était vrai. Mais nous n’étions pas riches.
On dit que les maisons où vivent des enfants en pleine puberté sont plus sujettes aux poltergeists - les esprits qui prennent plaisir à semer la pagaille.
D'ailleurs, si notre famille était une colonie d'artistes, ne pouvait-on pas plus justement encore la qualifier de colonie légèrement autiste ?
Nous n'avions que nos moi.
Nous étions des invertis, mais également des inversions l'un de l'autre.