La seule manière de parler de rien est d'en parler comme si c'était quelque chose, tout comme la seule manière de parler de Dieu est d'en parler comme s'Il était un homme.
Penser, quand on n’est plus jeune, quand on n’est pas encore vieux, qu’on n’est plus jeune, qu’on n’est pas encore vieux, ce n’est peut-être pas rien. Faire une pause, vers la fin de sa journée de trois heures, et considérer : l’aise toujours plus sombre, la peine toujours plus claire ; le plaisir là encore parce qu’il fut, la douleur là déjà parce qu’elle sera ; l’acte joyeux devenu volontaire, en attendant de se faire acharné ; le halètement, le tremblement, vers l’être révolu, devant l’être à venir ; et le vrai qui ne l’est plus, et le faux qui ne l’est pas encore. Et décider de ne pas sourire après tout, assis à l’ombre à écouter les cigales, à réclamer la nuit, à réclamer le matin, à écouter le murmure, Non, ce n’est pas le cœur, non ce n’est pas le foie, non ce n’est pas la prostate, c’est musculaire, c’est nerveux. Puis la rage s’achève, ou elle continue, et l’on est au fond du trou, au-delà du désir du désir, de l’horreur de l’horreur, au fin fond du trou, au pied de toutes les pentes enfin, des chemins qui montent, des chemins qui descendent, et libre, libre enfin, pour un instant libre enfin, rien enfin.
Non, il n’aurait jamais pu parler de toutes ces choses si elles s’étaient obstinées à ne rien vouloir dire, comme d’autres s’y obstinaient, c’est-à-dire jusqu’au bout. Car le seul moyen de parler de rien est d’en parler comme de quelque chose, comme le seul moyen de parler de Dieu est d’en parler comme d’un homme, ce qu’il fut bien sûr, en un sens, pendant un bout de temps, et comme le seul moyen de parler de l’homme, même nos anthropologues l’ont compris, est d’en parler comme d’un termite.
Car il sait qu'il est à la place qu'il faut, enfin. Et il sait qu'il est l'homme qu'il faut, enfin. A une autre place il serait toujours l'homme qu'il ne faut pas, et pour un autre homme, oui, pour un autre homme, ce serait encore la place qu'il ne faut pas. Mais lui étant tel qu'il est devenu, et la place étant telle qu'elle fut faite, l'accord est parfait.
De la nature de Monsieur Knott en particulier il continuait de tout ignorer. Il y avait à cela de nombreuses et excellentes raisons dont deux au moins semblaient à Watt dignes d’être relevées : d’une part la pénurie de matériaux proposés à ses sens, de l’autre l’altération de ceux-ci. Le peu qu’il y avait à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher, comme frappé de stupeur il le voyait, l’entendait, le sentait, le goûtait, le touchait.
Dans le vide feutré, l’ombre close, de la vaste pièce réservée à la jouissance de Monsieur Knott et de son serviteur, Monsieur Knott demeurait. Et cette ambiance le suivait dehors et allait avec lui, partout où il allait, dans la maison, dans le jardin, assombrissant tout, affadissant tout, assourdissant tout, engourdissant tout, partout où il passait.
Je m'appelle Spiro, dit le monsieur.
Voilà enfin un homme raisonnable. Il commençait par l'essentiel et de là, poussant plus en avant, traiterait des choses de moindre importance, l'une après l'autre, avec ordre et méthode.
Watt sourit.
Car incalculables les regards encore à lancer, le temps encore à perdre, avant que chaque oeil trouve l'oeil qu'il cherche et qu'affluent dans chaque esprit l'énergie, le réconfort et le courage nécessaires à la reprise de l'ordre du jour.