C'était l'heure où les moustiques vont boire du plasma.
Tu ne vois pas que toutes ces thérapies transhumaines ne sont que les fantasmes de mégalomanes narcissiques complètement puérils et incultes, de nerds incapables d'accepter la fatalité ?
J’étais fier d’être un quinquagénaire volontairement victime de malnutrition. Tel est le dernier acte d’héroïsme offert à l’individu occidental.
Désormais les curistes maigrissent dans des peignoirs de serviette-éponge et glissent du sauna à la piscine sur des pantoufles en tissu. La Montagne magique est loin. J’ai pitié de tous ces corps inusités qui se privent de nourriture en espérant remonter dans l’échelle du sex-appeal. Comment voulez-vous être désirable en peignoir et claquettes ? Ne comprennent-ils pas que leur vie sexuelle est terminée ?
À chaque fois que je l’avais tenu dans mes bras, j’avais cru que nous étions heureux alors que nous étions des funambules au-dessus d’un précipice.
Tel était le rêve des biotechnogénéticiens : composer une espèce comme un musicien composé une symphonie. La Nature les ennuyait : l'homme en avait fait le tour jusqu'à l'épuisement. Le moment était venu de prendre le relais de dieu. Dieu avait créé l'homme. C'était au tour de l'homme d'enfanter des choses.
Je détestais sa lucidité. Trop d'intelligence chez une femme m'a toujours effrayé.
La mort aurait dû me rendre modeste, elle m'a rendu orgueilleux. Je voulais la vaincre par égocentrisme. Si ma mésaventure doit être utile à quiconque, il faudra en retenir ceci : Pessoa s'est trompé quand il a dit "la vie ne me suffit pas". Oh que si, la vie suffit. La vie suffit amplement, croyez-en un mort.
A l'époque de notre première psychothérapie, vous parliez déjà de votre peur de vieillir. Syndrome de Peter Pan classique chez le quadragénaire occidental. La peur de l'âge est une angoisse de la mort travestie en hédonisme attardé.
- Quand tu perds tes parents à dix ans, tout le monde te console, tu deviens un être intéressant ; quand tu les perds à cinquante, personne ne te plaint, c'est là que tu es vraiment l'orphelin le plus seul au monde.
Si je les perdais, je savais que plus personne ne s'intéresserait à moi autant qu'eux. Donc ma tristesse était encore du narcissisme.