La décadence n'avait jamais été une période de l'histoire, mais un type de spectacle. Un rapport à soi. (p. 198)
D'ailleurs on mange devant la télé! La télécommunique ainsi avec les besoins primitifs, est un art primitif, un art primitif rendu rationnel, bien sûr, par l'audimat et la publicité, mais un art qui cherche encore sa forme classique.
- Vous diriez que la télévision est un art majeur? osa Sébastien?
- C'est incontestablement le grand art d'aujourd'hui. Pour elle nous avons accepté, nous autres chanteurs, de nous mettre à la variété - la variété qui n'est pas que la soumission de la chanson à ses impératifs esthétiques. Mais même réduite aux dimensions d'une boîte à chaussures, d'un théâtre de papier, la télévision reste le équivalent contemporain de l'opéra. Un opéra qui cherche encore sa forme sans doute.
C'était la première fois que Sébastien réalisait que la télévision pouvait être considérée comme un art, et il s'étonnait en même temps de la trouver si moche. La forme était cependant parfaitement adaptée au contenu.
Sébastien ne pouvait s'empêcher de continuer la chanson à voix basse, avec toujour sun peu d'avance, il était trop peu sensible au rythme, trop impatient pour attendre la suite des paroles - il se dit d'ailleurs que ce serait une bonne idée d'émission, entre le blind test et le karaoké : la musique s'interromprait, et le candidat devrait proposer la rime suivante. [....] Il nota le concept dans son petit carnet noir : "karaoké + blind test : ?" - le point d'interrogation ne signifiant pas qu'il jugeait le concept douteux, mais qu'il cherchait à quel animateur l'associer.
Mais c'est David qui résuma le mieux la chose, dans un de ses sketchs :
"moi je veux bien que la vie soit une téléréalité, si la victoire, c'est la vie éternelle."
Ce n'était plus un homme de télé, mais un homme d'image au sens large : un visionnaire, un homme de l'ombre, une icône émergeante du capitalisme français.
Et au milieu de tous, la figure ancestrale de l'effeuilleuse : la désormais mythique Loana. À peine créée, la téléréalité nous a offert grâce à elle l'équivalent de La naissance de Vénus de Botticelli : la beauté pure, sortie de sa petite piscine, et livrée, entière et nue, au scalpel de nos yeux. Je pense sérieusement, oui, qu'avec la scène de la piscine, avec sa rencontre aquatique avec le vaseux Jean-Edouard, tu as offert à la télévision l'œuvre d'art qui lui manquait. Cette scène, on le l'oubliera jamais.
La littérature a vu naître et mourir presque tous les arts. Sans cesse, elle s'est vue dépassée, oubliée et défaite, toujours elle est réapparue pour reprendre son interminable récit.
Cela faisait trois décennies que les anciens yéyés hantaient les plateaux de télévision, et on était probablement à la veille d'un phénomène de starification encore plus massif. La télé des anonymes allait atomiser le show-biz et révolutionner le star-system.