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EAN : 9782070197620
480 pages
Gallimard (12/01/2017)
3.38/5   163 notes
Résumé :
Enfant de l'Ouest parisien, Alexandre Belgrand a grandi à l'ombre des tours de la Défense, au bord de la voie royale qui conduit du Louvre à la Grande Arche et qui sert de frise chronologique à l'histoire de France. Héritier autoproclamé de ce majestueux récit, il rejoint une école de commerce, certain d'intégrer à sa sortie l'élite de la nation. L'un de ses professeurs l'initiera alors à l'histoire secrète de la capitale, avant de le faire entrer au service de l'ho... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (27) Voir plus Ajouter une critique
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Parce que ses oeuvres m'intriguent, je suis Aurélien Bellanger de livre en livre depuis « La théorie de l'information » (un docu-roman partant de Xavier Niel pour arriver sur le thème de la singularité), « l'aménagement du territoire » (…inpitchable !) et maintenant ce singulier et passionnant « Grand Paris » qui tient parfaitement la corde par rapport aux précédents, et passe même une tête au-dessus.
Ces livres sont des OLNI, des objets littéraires non identifiés érudits et singuliers mêlant de manière déroutante roman, reportage et essai, fiction et réalité, établissant des convergences entre différentes disciplines, de la géographie à la philosophie, de l'urbanisme à la religion, le tout avec une tonalité post moderne assez houllebecquienne (auteur dont il a d'ailleurs écrit une biographie) bien que moins désenchantée. Il y a en effet des thèses et des propositions dans ces livres, plutôt novatrices voire iconoclastes – et sur ce chapitre « le grand Paris » n'est pas en reste !

C'est ici la genèse et le développement du grand projet de l'ère sarkoziste, le Grand Paris, qui sont abordés à travers l'évolution et la carrière fictives de son concepteur, Alexandre Belgrand, qui rejoint le cabinet du « Prince » pour convaincre les élus que Paris et le découpage départemental de ses couronnes sont des concepts dépassés, et lancer le projet révolutionnaire d'une Ile de France recomposée, réinstallée dans les rangs des villes-monde du 21ème siècle, ouvrant les portes d'un Paris vieillissant et dont le 93 serait le poumon vivifiant. Pour ce faire, des idées et contributeurs neufs seront nécessaires pour que le grand projet avance au-delà de la chute du prince…

On ne lâche pas ce riche récit qui tisse une trame faite d'urbanisme, d'économie, de politique et de religion pour composer une thèse qui bouleverse les représentations mentales de la ville, de la République et de l'Occident, questionnements à la mode mais traités ici de manière originale, instructive et qui donne à penser.

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« À nous deux, Paris ! » : Alexandre Belgrand, pas plus que le héros De Balzac, ne pousse ce cri du provincial bien décidé à conquérir la capitale, mais l'ambition est bien la même. Sinon que Belgrand ne vient pas d'Angoulême, lui, mais des Hauts-de-Seine. le rapport névrotique à la capitale n'est plus le fait des provinciaux, il est devenu celui des banlieusards.
Les déménagements successifs du narrateur signalent ses succès puis son retour à l'anonymat : il passera de l'ouest à l'est, après avoir connu l'ivresse du pouvoir dans le Triangle d'Or parisien. Mais ce déplacement géographique n'est pas simplement le symbole des déboires du héros ; Bellanger ambitionne lui aussi d'écrire un roman total et les transformations de Paris constituent le sujet principal de ce livre. Belgrand découvre les ors ministériels parce qu'il a pu souffler à Nicolas Sarkozy le projet du grand Paris qui doit conjurer la muséification de la capitale en la rattachant à une banlieue qu'elle méprise mais qui est seule susceptible de la dynamiser.
Décidé d'en haut et réduit à une réorganisation des transports urbains, ce projet sera incapable de construire un commun à partir des territoires hétéroclites qu'il est censé fédérer.
Sans doute l'hétérogénéité du roman de Bellanger qui convoque histoire, politique, philosophie, religion et urbanisme est-il à mettre au crédit de son auteur dont les diverses thématiques ne prennent pas davantage, selon moi, que les différentes zones qui composent l'Île-de-France, mais restent à l'état de grumeaux dans la pâte romanesque.
À moins que mon peu de goût pour ce met plus roboratif que digeste vienne moins de sa technicité que de l'omniprésence de Sarko dont le portrait impitoyable ne m'a tiré aucun sourire. Notre ancien président me paraît si dénué d'épaisseur romanesque que l'insignifiance que je lui prête (à tort, sans doute, hein) a contaminé tout le roman que j'ai lu avec application et sans y trouver d'intérêt – ce dont j'ai honte, mais avouez que j'ai des excuses (enfin, au moins une).
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Voici une lecture qui n'a pas été facile, tant le propos est dense et frôle parfois l'indigestion. Mais je voulais lire Aurélien Bellanger, alors je l'ai lu jusqu'au bout. Je n'ai pas détesté, j'ai même ressenti un certain intérêt à l'ensemble mais j'aurais préféré 200 pages de moins, une narration plus resserrée et un objectif plus clair. Car on finit par perdre un peu le fil entre cours d'urbanisme, analyse politique et données historiques, tout ceci assaisonné de principes sur les religions. Je ne suis pas contre une littérature foisonnante et ardue mais à condition que l'objectif vaille le coup (voir : Illska). J'avoue que je n'ai pas eu l'impression d'être récompensée de mes efforts en arrivant au bout.

"Il existe, malgré les fulgurances transdisciplinaires du Corbusier, designer, architecte et urbaniste, une hierarchie évidente qui place l'architecte d'intérieur au-dessous de l'architecte et qui subordonne celui-ci à l'urbaniste. le niveau supérieur serait alors occupé par ce que les philosophes nomment de façon grandiloquente le politique : la ville envisagée en tant que cité, en tant que lieu d'exercice d'une citoyenneté exemplaire et glaciale."

L'auteur nous délivre une vaste leçon d'urbanisme dans le sens éminemment politique du terme et c'est certainement le volet le plus intéressant du livre. Il s'appuie pour cela sur un jeune héros issu d'une lignée d'architectes dont les parcours se confondent avec L Histoire. le grand-père d'Alexandre Belgrand a oeuvré en Algérie avant de disparaitre mystérieusement, ses parents ont pris part à l'élaboration des grands parcs de loisirs de le région parisienne. Alexandre reprend le flambeau familial et se trouve propulsé, grâce à son mentor de prof de fac aux nombreuses relations politiques dans l'entourage du" Prince", en pleine campagne électorale de 2007 (vous voyez de qui il s'agit). le candidat devenu Président de la République décide de faire du Grand Paris le dossier du quinquennat et charge Alexandre d'en définir le concept et les modalités.

"Le Président voulait à ses côtés un philosophe, pas un technicien, quelqu'un d'audacieux et de libre, pas un juriste ou un technocrate. Il voulait que je l'aide à dessiner quelque chose qui porterait son empreinte et qui marquerait l'histoire de France."

Et là, on a droit à des passages assez savoureux et érudits qui décortiquent la façon dont le politique utilise le territoire comme une arme de destruction ou de construction massive, avec au coeur, l'opposition entre les Hauts de Seine et la Seine Saint-Denis, respectivement les départements le plus riche et le plus pauvre de France. Moi qui habite une ville qui bénéficiera dans quelques années d'une gare du Grand Paris Express, j'avoue que je n'avais pas vu les choses tout à fait comme cela. Car au-dessus de nous, simples habitants de quartiers ou de villes, il y a ceux qui pensent à grande échelle, envisagent de redonner à Paris sa grandeur perdue face à Londres ou à Berlin. Pour cela il faut désenclaver, casser les oppositions entre centre et périphéries de plus en plus éloignées... L'auteur nous offre une plongée historique et philosophique passionnante mais qui part un peu trop dans tous les sens pour captiver jusqu'au bout.

On suit avec un intérêt mitigé les aventures du jeune Alexandre dans l'entourage du "Prince", tout simplement parce que cet aspect a déjà été souvent traité et qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil (notamment bien plus convaincant dans L'insouciance de Karine Tuil). Désillusions, prise de pouvoir des conseillers, grâces et disgrâces... La routine. Et j'avoue que le retournement final qui vient mêler la religion à tout ça m'a passablement agacée.

Aurélien Bellanger est sans conteste un écrivain érudit qui tient à insuffler à ses livres une bonne dose de réflexion. D'ailleurs, j'ai appris un certain nombre de choses et je n'ai pas l'impression d'avoir perdu mon temps. Mais je suis loin d'être convaincue par un livre peut-être un peu trop conceptuel à mon goût, et pas certaine de retenter le coup.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Comme le projet urbanistique dont il porte le nom, le Grand Paris d'Aurélien Bellanger est un projet ambitieux. Ici, le projet littéraire est probablement encore plus grand que le projet urbanistique, car le roman est tout à la fois une somme de considérations urbanistiques, politiques et métaphysiques. Ce sont même ces dernières considérations qui constituent probablement le coeur du récit, puisque le Grand Paris serait, avant tout, une réflexion existentialiste sur la perte de sens dans nos sociétés contemporaines, perte de sens liée à la perte de Dieu, célébrée déjà par Nietzsche à la fin du dix-neuvième siècle.

Le narrateur, Alexandre Belgrand, a pourtant tout du futur golden boy. Appartenant, par sa famille, aux entrepreneurs et aux bâtisseurs du pays (ses ancêtres ont bâti la tour Eiffel puis des villes nouvelles et, enfin, des parcs d'attraction), il suit le cursus normal de tout garçon de bonne famille des Hauts-de-Seine avant de croiser la course d'une comète politique. le Prince, sous les traits duquel on devine Nicolas Sarkozy, président de la République entre 2007 et 2012, est un véritable animal politique qui fait ses armes au ministère de l'Intérieur avant de gagner l'Elysée. Autour de lui gravite une jeunesse dorée, décomplexée, assumant une droite plus libérale que conservatrice dont Belgrand n'est qu'un exemple. L'ascension du Prince représente un moment particulier dans l'histoire politique de la droite française. Exploitant les thèmes de l'insécurité civile et des carcans économiques qui pénaliseraient le pays, le Prince parvient à se faire élire en communiquant intelligemment, notamment après les émeutes qui ont embrasé les quartiers populaires de France en 2005. Quant à Belgrand, il n'est qu'un outil dans la prise de pouvoir du Prince. Recruté officieusement par Machelin, un ancien socialiste qui flirte sans complexe avec la droite libérale, Belgrand étudie d'abord Paris et ses frontières sociales, économiques et naturelles, avant de partir en Algérie étudier l'urbanisme dans la petite ville d'Adrar. Là, Belgrand fait ses première expériences du métier d'urbaniste : maniant un objet insaisissable et inconcevable, dans sa globalité, par l'homme, l'urbaniste, parce qu'il pense la ville comme un corps vivant dont les cellules (les hommes) et les structures (les rues, les bâtiments, les réseaux énergétiques ...) interagissent entre elles, parle directement à Dieu. A la fois artiste et ingénieur, il est le modèle humaniste le plus abouti.

Quand il se met au service du Prince, Alexandre Belgrand se fait le porteur d'un grand projet : le Grand Paris. En d'autres termes, il s'agit de faire coïncider les limites administratives de la ville avec son réel bassin de vie, en favorisant, entre autres, le polycentrisme et les réseaux interurbains de transport. le Grand Paris Express, dont la construction est actuellement en cours, doit relier entre elles les villes de la Petite Couronne et faire de Paris, véritablement, une ville-monde. Si la présidence du Prince se révèle finalement décevante, et cruelle pour Belgrand, il n'en reste pas moins que le Grand Paris est l'empreinte véritable du Prince sur son temps. Réaliser le Grand Paris, ce n'est pas seulement concurrencer enfin - et efficacement - le grand Londres ou le grand Berlin. Réaliser le Grand Paris, c'est aussi intégrer à la ville historique ce qui fait aujourd'hui son dynamisme : dynamisme économique autour du quartier de la Défense ou du marché international de Rungis, dynamisme des mobilités avec les aéroports de Roissy et d'Orly, dynamisme populaire et humain dans un territoire devenu le tabou de la République : la Seine-Saint-Denis.

Initiateur et concepteur d'un projet pharaonique censé donner son identité au quinquennat du Prince, membre d'une équipe de jeunes premiers dont la vie a pour pôles les séances interminables de travail à l'Elysée et la consommation outrancière de vodka et de Red Bull, Alexandre Belgrand voit avec lucidité et fatalisme la déchéance arriver. Lenoir, qui devient le visage officiel du Grand Paris, est l'ange annonciateur du désaveu. Belgrand, viré, flirte encore quelques temps avec les pontes du Grand Paris, amis obscurs ou nouveaux ennemis du Prince, donnant des conférences en tant qu'initiateur du projet urbanistique le plus audacieux que la France ait connu depuis la période haussmannienne, s'imaginant briguer la présidence du Grand Paris à l'horizon des années 2020-2030. C'est principalement avec Pornier, seul maire de droite dans le très communiste 9-3, que Belgrand envisage de faire son retour en politique.

C'est dans ce territoire que le roman, ainsi que la destinée de Belgrand, prennent une tournure inattendue, quoique soupçonnée. La Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France métropolitaine aux deux chiffres distinctement prononcés comme un emblème, département-monde où sont parlées une centaine de langues, département emblématique de la Ceinture Rouge, département aussi symbole d'une religion synonyme, elle, de danger pour le pacte républicain depuis le 11 septembre 2001 : l'islam, devient le département refuge de Belgrand et le point de départ de nouvelles et possibles aventures politiques. Il y a, dans le dynamisme de l'islam, que Belgrand apprend à connaître, quelque chose de fondamentalement antinomique avec les modes de vie contemporain qui se passent de Dieu mais plus de réseau internet. de façon tout à fait similaire, à travers la construction du Grand Paris ou à travers la plénitude qu'offre la religion musulmane (abolition de la temporalité, de la théodicée, du doute quant à Son existence, du sens existentialiste de nos vies), c'est réellement la recherche de sens (et non de signes, qui ont envahi la ville et nos vies contemporaines) qui guide Belgrand dans cette France des années 2000, engluée dans son passé, bouleversée par les possibilités présentes et terrifiée par les éventualités futures.

Cette ambition littéraire qu'a Aurélien Bellanger (celle de saisir une époque) doit être saluée. Attaquer un sujet comme le Grand Paris, c'était envisager des problématiques nombreuses et complexes relevant de la politique au sens premier du mot : c'est-à-dire de la vie de la société humaine comprise comme un corps organique. le style plutôt verbeux ne pourra pas être reproché (tout au plus regretté, tant certains passages demandent une attention telle que la fluidité de lecture en pâtit) car le roman que livre Aurélien Bellanger est autant philosophique que géographique, historique, politique, sociologique et, même, doit-on le dire : poétique.
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Il ne faut pas manquer de souffle pour lire le troisième roman de ce talentueux écrivain, et ici, le mot n'est pas galvaudé.
Après s'être emparé du minitel, puis des autoroutes, cette fois, très incisif, il s'empare d'un sujet hors normes, Paris. Après la carte et le territoire...Houellebecq n'est pas loin.
Le lecteur est emmené de collines , en vallées dans tout le bassin parisien.
Alexandre Belgrand, héritier d'une grande famille d'urbanistes ayant à leur actif les égouts de Paris jusqu'à la création du Parc Astérix, pense ,lui, après de brillantes études dans une des meilleures écoles du pays se diriger vers la Finance.
C'est la rencontre avec un professeur un peu border line, et sa fascination pour la ville qui vont l'emmener en faculté afin d'écrire une thèse sur Paris et son avenir.
De rencontres en rencontres, il va s'agréger à l'entourage du « Prince » candidat heureux à l'élection présidentielle de 2007  et qui a pour ambition de créer un Grand Paris qui s'étendra aux départements limitrophes et au fil de ses propres découvertes, Alexandre fera presque une fixation sur le 93 qui à ses yeux est le plus bel avenir de Paris ; il en comprendra si bien le fonctionnement qu'il finira par se convertir à l'Islam pour des raisons avant tout philosophiques. Ce résumé est un peu court en regard des mille facettes évoquées par l'auteur.
Ce livre se mérite et ne peut être lu en dillettante.
Voilà la trame de ce livre épais, foisonnant, roman oui, mais touchant à L Histoire, à la Politique, à l'Urbanisme  et surtout à la philosophie ; ce qui ne le rend pas forcément toujours facile à lire.
Très peu de dialogues, mais des analyses percutantes, quand même parfois mâtinées de drôleries heureusement ; la découverte du monde de la politique est réjouissante, si elle n'était parfois aussi veule , même tragique.
Ce roman me semble le plus abouti et c'est avec gourmandise que j'attendrai le quatrième qui sera j'en suis certaine d'une qualité aussi rare que celui ci  .
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Nous aimions pour cela la façon dont il s’exprimait, sans respecter ni la grammaire ni la pénible majesté de la langue française — dans un pays où le souverain était le protecteur d’une institution chargée de légiférer sur la langue, la chose était particulièrement délicieuse. Ancien avocat, il avait gardé l’habitude de faire un usage presque exclusivement polémique de la langue française, qu’il utilisait, le doigt pointé sur son interlocuteur, presque comme une arme de guerre, une arme dont le violent recul se propageait à ses épaules, beaucoup trop mobiles.
Nous avions assisté à des dizaines de meetings juste pour cela, pour le frisson de la scène, pour leur énergie physique et leurs outrances verbales dignes des meilleurs concerts de hip-hop — et ceux que j’avais ratés, je les avais souvent rattrapés en vidéo. Nous avions religieusement suivi chacune de ses interventions télévisées dans un bureau de la rue d’Enghien, et j’y avais pris plus de plaisir qu’avec n’importe quel livre, n’importe quelle chanson, j’avais été sans cesse ébloui par le plaisir de la langue, par l’inventivité verbale hasardeuse et brutale du candidat déchaîné. La candidate socialiste s’était, elle aussi, aventurée sur le terrain de la langue. Elle était ainsi venue jusqu’à la Grande Muraille en tunique blanche pour vanter la bravitude du peuple chinois. On s’en était amusé. Mais cela n’avait pas la splendeur sombre des approximations du Prince, cela ne concernait que la surface de la langue, que son vocabulaire — la candidate avait péché par excès et non par défaut, et la polémique de pure forme qui avait suivi ses justifications — l’évocation ironique du décalage horaire et de la grandiose plasticité de la langue — avait surtout témoigné d’un goût français un peu pénible pour les perles du bac, pour les approximations syntaxiques de ses comiques préférés, pour les bons mots des jeunes enfants.
L’inventivité verbale du Prince était à l’opposé. Elle concernait la grammaire elle-même plutôt que le vocabulaire : la clé de voûte du vivre-ensemble, les profondeurs secrètes du pacte républicain, le lieu célinien du grand dérèglement, le chaos des heures sombres. Le Prince ne parlait pas un français de convention, ni un français de fantaisie, mais un français de combat. Il parlait aux instincts du peuple, mis en perpétuelle situation de juré populaire d’un procès d’assises devenu grand comme un pays entier. Il répétait à voix douce les noms de ses intervieweurs, il abusait des pronoms personnels qui le mettaient en scène, avec ambivalence, en tant que victime et en tant qu’accusateur. C’était la seule structure qu’il respectait au fond, l’essence judiciarisée de la langue. Tout le reste, fautes d’accords, conjugaisons hasardeuses, oublis du sujet ou du temps, était subordonné à cette fonction unique : mettre le monde en accusation, s’excuser de sa bonne volonté, feindre une naïveté la plus absolue — c’était un effondrement de la langue sur elle-même. L’intervieweur, confronté là à un défi insurmontable, renonçait à chaque fois, et le téléspectateur, comme hypnotisé, oubliait la question désobligeante :
« Parce que vous croyez que parce que — excusez-moi du peu madame Chazal, ou bien alors c’est pas qu’on s’est pas compris, c’est que j’ai dû me tromper alors — que parce qu’un journaliste, ou supposé tel, a raconté à untel ou untel une histoire proprement stupéfiante, et qui, soit dit au passage on sait plus trop si elle me concerne vraiment, ou bien ma cousine, son voisin de palier et quand on y est pourquoi pas vous madame Chazal, puisque apparemment il faudrait qu’on soit tous coupables de quelque chose dans ce pays, à commencer par réussir, et vous avez bien réussi madame Chazal, alors je me demande… Non bien sûr je plaisante, mais c’est quand même un monde, que dans ce pays, plus on essaie d’être irréprochable, plus on a de reproches, et c’est tous les jours, et c’est sans l’ombre d’un soupçon. Et vous pensez que cette fois je vais laisser passer ? Vous croyez vraiment que je peux me permettre de laisser dire ça ? Eh bien je vais peut-être vous surprendre mais oui, parce que moi, je peux pas à chaque fois saisir tous les tribunaux de France, qui sont bien occupés croyez-moi, un peu trop occupés à mon goût, même, quand ils libèrent des délinquants, pour que je porte plainte. De toute façon moi mon seul tribunal c’est l’action, c’est là où je serai demain, et je crois que ça vaut mieux, d’ailleurs, vous verrez demain ça sera oublié, les Français ils ne sont pas dupes, ils oublient pas ce qu’on me fait subir, des fois, je vous dis, c’est pas toujours drôle. Mais laissons ça là, si vous voulez bien. Parce qu’à force d’expliquer l’inexplicable, car au fond je ne sais même pas de quoi on parle et j’aimerais si ça vous ennuie pas qu’on soit sérieux cinq minutes, on va finir par ennuyer tout le monde avec nos petites histoires, et croyez-moi, les Français méritent mieux que cela. »
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Dans son article fondateur de 1985, « Indigenous Management of Tropical Forest Ecosystems : The Case of the Kayapó Indians of the Brazilian Amazon », l’anthropologue Darrell Posey tente de démontrer que les Indiens Kayapó cultivent la forêt amazonienne comme un grand jardin, afin que celle-ci s’adapte au mieux à leurs besoins. On sait que la notion de jardin possède, en Amazonie, des limites floues, passé un premier cercle de cultures manifestes : le fait que les plantes aux vertus curatives soient surreprésentées autour des villages et que les essences produisant le curare soient toujours abondantes le long des pistes de chasse plaide aussi pour des plantations raisonnées et permet d’attribuer aux Indiens une forte conscience des interactions écologiques. Mais Darrell Posey va plus loin et suggère que la forêt vierge, en totalité, pourrait être une création volontaire de ses habitants humains. Il examine, pour cela, différents aspects de l’activité écologique des Kayapó qui tendent à prouver que non seulement la forêt qui entoure leurs villages témoigne d’actions écologiques volontaires, répétées et conscientes, mais aussi que les Kayapó, anticipant sur leurs déplacements futurs et se souvenant de leurs déplacements passés sur des échelles très largement supérieures à la durée d’une vie humaine, ont probablement planifié l’évolution biologique de la forêt tout entière. La thèse de Posey sera après lui très disputée et largement remise en cause, sans que sa puissance en soit diminuée. Elle demeure encore aujourd’hui le seul équivalent possible, dans le champ ethnologique, d’une révolution copernicienne, révolution inversée, dans un premier temps, qui verrait d’abord l’homme rétabli dans ses droits cartésiens de maître et possesseur de la nature, d’aménageur de la forêt et d’urbaniste du monde végétal, mais révolution truquée, à double fond, qui viserait en réalité — on sait que Darrell Posey était un activiste, attaché à la défense des droits des Indiens, comme, au-delà, à la défense des droits de la forêt elle-même — à la réintégration de l’homme à un biotope dont il ne serait jamais réellement sorti.
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La mort de Dieu elle-même, l'élément fondateur, la catastrophe initiale, le drame indépassable de la modernité, avait maintenant quelque chose de factice : les civilisations qui développaient des parkings souterrains n'avaient plus besoin de Dieu, mais seulement d'issues de secours praticables et d'extracteurs d'air puissants.
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Le métro de Paris était le chef-d'oeuvre terminal de la révolution industrielle, la mise en scène la plus achevée d'un cycle révolu du monde - celui de l'Univers comme totalité déterministe et de la ville comme machine. Cette conception, qui allait donner naissance, en Amérique, pays de la liberté, aux personnages de super-héros, personnifications extrêmes des forces physiques isolées au siècle précédent, et organes mobiles de rétrocontrôle de la ville moderne, avait abouti en France, pays égalitaire, à l'apparition d'une seule héroïne, impersonnelle et collective, la Régie autonome des transports parisiens (...) risquant bientôt de s'étendre à la terre entière et d'acquérir une autonomie véritable.
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Le Prince lui-même avait dû intervenir au 20 Heures, et il n’avait pas été mauvais : « Vous pensez vraiment, monsieur Pujadas, que parce qu’il est mon fils, il aurait le droit à moins que les autres, que parce qu’il est mon fils, ses compétences devraient être systématiquement mises en doute ? Mais permettez-moi de vous le demander, monsieur Pujadas, est-ce que c’est ça votre conception de l’égalité ? Est-ce que parce qu’il est mon fils, il serait moins capable que d’autres ? Voyons, un peu de bon sens, monsieur Pujadas. J’en appelle à votre sens républicain et à celui des Français qui nous écoutent et qui sont, eux, attachés au mérite et à l’égalité, et je dirais même, à l’exemplarité. Parce que vous pensez bien qu’il en faut du courage à un jeune homme de vingt-trois ans pour affronter de telles insinuations, et bien du mérite à vouloir continuer à bien faire son travail dans de telles circonstances. Et vous pensez vraiment qu’il ne le sait pas, cela, et qu’il n’en est pas capable ? Mais c’est justement parce qu’il est mon fils, avec toutes les conséquences qui sont là sous nos yeux — et permettez-moi de vous dire, monsieur Pujadas, que c’est pas un beau spectacle, et c’est pas le père qui parle, c’est le président, c’est le garant des institutions, le défenseur des grands principes de notre belle République —, c’est justement parce qu’il est mon fils qu’il a le devoir de réussir. »
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Vidéo de Aurélien Bellanger
Aurélien Bellanger vous présente son ouvrage "Le musée de la jeunesse" aux éditions Stock.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/3025807/aurelien-bellanger-le-musee-de-la-jeunesse
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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