Le silence des sept nuits, tome 1 : Les derniers jours

C’est le morveux de dix-sept ans, apparemment un prodige de l’épée, dont je vous avais parlé dans ma dernière lettre. Ce gamin a fouiné autour du manoir hier après-midi, cherchant des indices sur le meurtre et voulant élucider l’affaire. Je crois qu’il n’a rien trouvé, mais je vais m’en assurer.

Nos corps ont besoin de garder un contact permanent avec la Lumière et les Ténèbres. Il nous faut cet équilibre pour fonctionner. Mimælk m’a dit qu’un talisman de Partham peut représenter un danger, qu’il pourrait rompre notre connexion naturelle avec l’énergie des Ténèbres. Et que si c’était le cas, notre corps pouvait réagir. Ça créerait des moments de grande confusion et…

C’était grandiose comme dans mes rêves. Triomphant derrière cette mer de foule silencieuse, je voyais le compartiment des instrumentistes en plongée, où percussionnistes, flûtistes et joueurs d’erhu attendaient le signal du chef d’orchestre pour ponctuer la scène d’une musique épique qui me secouerait d’émotion. Je voyais des décors palatiaux avec ses arches, ses cloches, ses banderoles colorées et ses statues anciennes. Je voyais les personnages, agitant leurs costumes flamboyants sur les planches. Je voyais le théâtre. Enfin, le théâtre.

La ville s’était redéfinie par le mal qui la caractérisait, comme lorsque les criminels, après leurs méfaits, ne sont plus jamais considérés comme des bouchers, des couturiers, des seigneurs ou des pères de famille.

Bien des gens seraient prêts à tuer pour mettre la main sur un objet qui pourrait les protéger contre le chagrin de la mort. Ce crime n’a peut-être rien à voir avec les créateurs du fléau !

Je sais par contre qu’on est dangereux dès qu’on est atteint par la malédiction. Même si on a aucun symptôme. C’est ce qui est arrivé avec Fëana. Elle se croyait intouchée, et pourtant, c’est elle qui a contaminé la moitié de Roc-du-Cap. — Je dirais que le premier responsable, c’est l’enfant malade. Celui qu’a trouvé Akio. D’ailleurs, savez-vous d’où il arrivait, celui-là ? Et qui donc l’a infecté ? — Ça, l’histoire le dit pas. Mais tu soulèves un point important : qui donc a fait ça ? Car les malédictions sont lancées par des gens .

Y’a des malédictions qui se propagent à courte distance, d’autres qui nécessitent un contact physique direct. Mais il faut toujours que deux personnes vivantes soient présentes au même endroit : le porteur et la nouvelle victime. Dans le cas du chagrin d’la mort, je pense que ça voyage par le toucher, mais j’ai pas de preuve pour appuyer l’hypothèse.

Une chose que je sais, c’est que les malédictions qu’on dit “contagieuses”, elles s’transmettent directement d’une personne vivante à une autre. On en laisse pas d’traces autour de soi, en touchant des objets ou en infectant des vêtements, par exemple. Et quand on meurt, les magies latentes se dissipent assez rapidement. Donc, en théorie, les cadavres sont pas dangereux.
Il disait exactement ce que je voulais entendre. Un poids énorme disparut de mes épaules ; c’était libérateur, je respirais déjà mieux.

Peu importe si le meurtre était motivé ou non par un besoin de vengeance, il restait une incertitude : l’assassin, même s’il se croyait sain, était peut-être infecté par le chagrin sans le savoir. Car la plupart des maladies étaient précédées de quelques jours de dormance, durant lesquels les victimes ne ressentaient aucun symptôme. Le chagrin ne devait pas faire exception.

C’est vrai qu’on ne devient pas Arcaporal pour trier des bottes et des capes. Viens avec moi.
Elle m’entraîna dans une pièce à l’arrière du bâtiment. Là-bas, le mobilier était dominé par une immense table sur laquelle on avait peint une carte de Roc-du-Cap dans les moindres détails. Des formes noires représentaient chacune des structures de la cité, et de minces lignes les sillonnaient : les rues principales. Des bandes épaisses illustraient la muraille qui ceinturait la ville, de même que celle qui séparait les quartiers est et ouest.
Sur ces remparts, on avait aligné des figurines en plomb, peintes en rouge, qui représentaient des gardiens armés d’arcs et de flèches. La plupart étaient positionnées sur la muraille extérieure de la ville, cependant une bonne quantité se trouvait sur la grande ligne qui scindait Roc-du-Cap en deux.