Le miel et l'amertume

Essayez de comprendre ce que ressent une jeune fille de seize ans, agressée dans son corps et dans son âme par un monstre libidineux, gluant et cruel. Vous n𠆞xistez plus, vous n𠆚vez plus aucune raison de continuer de vivre, d𠆚voir des projets, d𠆚imer les autres et d𠆞spérer.

Le souvenir de la tragédie occupait tout l𠆞space de mon esprit. Je n𠆚vais plus d𠆞sprit, juste de la douleur qui dégoulinait à l’intérieur de ma tête et faisait de chaque neurone un passeur de souffrance. Je suis devenu une boule, un cratère, une motte de terre sèche et sans vie. Je me confondais avec les tas d’immondices. Je puais de partout.

Je fixais le carrelage d’une laideur particulière. Je m𠆚ssoupissais et je tombais dans des crevasses où la boue m𠆞nveloppait, m𠆚ttirant vers le fond. Je me noyais dans cette eau épaisse et lourde. Je me laissais faire, je ne résistais pas. Je voulais en finir.

Mon image n’était plus floue comme au début de ma carrière. À présent, elle était nette et précise. C’était celle d’un salaud satisfait, un bon Marocain corrompu et infidèle. Je devais non seulement me faire à cette image, mais je devais aussi la trouver juste et légitime. Ma femme, de plus en plus superstitieuse, était persuadée que la tragédie que nous avions vécue était une punition de Dieu. Je n𠆞ntrais pas dans ce genre de raisonnement, je l’écoutais et puis je pensais à autre chose.

Viens que je t𠆞mbrasse, enfin tu es en train de devenir un homme, un vrai. Je n𠆚i pas répondu, j𠆚i laissé passer et j𠆚i baissé les yeux. Être un homme ! Un vrai ! C𠆞st quoi ? C𠆞st avoir de l𠆚rgent ? Surtout de l𠆚rgent sale !

Le fait qu’une personne prenne aussi au sérieux ce que j’écrivais me donna l’impression d’être quelqu’un. J’écrivais dans la solitude, mais mon espoir était de partager mes mots, d’être lue et reconnue. Khenzir répondait à cette attente profonde, même s’il me mettait très mal à l𠆚ise. Je sentais désormais que fuir était impossible. Il avait tout prévu. La carotte et le bâton.

Je n𠆚i pas osé lui demander pourquoi il restait avec elle. Mais j𠆚i compris que quelque chose les retenait prisonniers de cette relation toxique.

Je vais te raconter l’histoire du voile, il est question de cela dans la sourate « Les Factions ». Des femmes sortaient le soir faire leurs courses. Il faisait très chaud, elles attendaient le coucher du soleil pour sortir. Des hommes les harcelaient, les prenant pour des femmes de mauvaise vie, des prostituées. L’une d𠆞lles s𠆞st plainte auprès de Mohammad, le prophète. Un verset est tombé alors. Le voici : « Ô Prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles : c𠆞st pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées. » Tout le reste, c𠆞st de l’interprétation abusive.

Je souris, je ris et je m𠆞nnuie. Ma chambre, mon lit, mon cahier me manquent. Ma solitude me manque. Ces gens-là ne savent pas le bonheur de jouir d’une solitude recherchée, acceptée, cajolée, celle qui ouvre des portes sur d𠆚utres univers.

Je pense à la mort comme un fantôme en blanc qui viendrait m𠆞nvelopper et me porter très loin de cette vie. Elle n𠆚 pas de faucille. Elle est suspendue en l𠆚ir comme une plume d’oiseau, une poussière qui attend le moment de tomber. Elle tombe comme la vérité. Tranchante, sans commentaire, sans répit. C𠆞st un couperet.