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Critique de fanfanouche24


"Chana Orloff a d'abord été une sorte d'âme errante, entrant et sortant de mon esprit à sa guise, comme s'il lui suffisait de pousser une porte battante pour s'y faufiler. Et sans que je m'y attende, elle est devenue mon passe-muraille dans ce labyrinthe qu'est l'âge adulte.
Les premiers temps, j'étais pourtant persuadée de pouvoir mener cette enquête en tenant "mon sujet" à distance (...) Et puis j'ai compris qu'en observant à la loupe les contradictions d'une autre j'apprenais au passage à mieux comprendre les miens. Au cours de ce rapprochement, j'ai
d'abord été séduite par sa quête de liberté. Chana Orloff aspirait à être libre de tout conditionnement, des carcans et des dogmes, des attentes sociales et familiales. (...)
On pourrait même dire qu'elle a passé un contrat avec la solitude." (p. 11)

Un ouvrage passionnant dont m'a parlé une camarade libraire, Lisa... qui ne connaissait pas cette sculptrice, mais avait été enthousiasmée par ce texte. Je la remercie de ce partage de lecture, que j'ai aussitôt débutée...

Les dernières sculptures que j'ai pu admirer de cette artiste ,se trouvent au Musée des années 30, à Boulogne-Billancourt...Je viens d'apprendre qu'une centaine d'oeuvres se trouvent dans sa maison -atelier, Villa Seurat, dans le 14e parisien ...accessible sur RDV (appartenant toujours à la famille), je vais m'y précipiter au plus vite !

Je connaissais ses oeuvres, avais été frappée d'emblée par leur force, leur expressivité absolue, et cette stylisation harmonieuse; par contre, je méconnaissais en partie son existence, remplie de succès mais aussi de terribles épreuves. L'auteur , on le sent, dans son récit, s'est
prise d'une véritable passion pour ce parcours de "femme libre" dans des périodes qui ne le permettaient pas, ou si rarement ...et pour l'artiste-sculptrice, de talent, et largement reconnue!
Femme exilée qui fit partie des "Montparnos", fut l'amie de Soutine, Modigliani, sa compagne, Jeanne Heurtebise, etc.Ils étaient tous pauvres, se battaient pour leur art, s'entraidaient, savaient être joyeux !...

Chana Orloff se marie avec le poète Ary Justman (ami d'Apollinaire) en 1916.Ils eurent un enfant,un petit garçon; malheureusement Ary Justman mourut brutalement de la grippe espagnole. Un double drame, car au vu la contagion, il lui fut interdit de revoir son époux, une dernière fois !...

Elle fait le portrait de nombreux artistes et écrivains, notamment Auguste Perret, Pierre Chareau, Pierre Mac Orlan, Anaïs Nin, Modigliani, Per Krohg, Alexandre Jacovleff, Romaine Brooks…

"[Otto Rank, psychanalyste ]
- Pourquoi l'art du portrait ? (...)
" Je suis fascinée par tous les matériaux dans lesquels l'esprit se moule, par les mille et une façons dont il se manifeste sur un visage, confie-t-elle. le visage ne triche pas. du moins , pas longtemps. Nos métiers se rejoignent, docteur Rank. Vous et moi sommes des spéléologues de l'âme". (p. 177)

Mais le travail de Chana Orloff ne se résume pas aux portraits. Elle aborde de nombreux thèmes dont ceux de la musique ,de la danse, de la maternité et aussi des animaux....

"Montparnasse devient leur Terre promise. Bien plus qu'un quartier, c'est une manière d'être au monde. Un rêve, une utopie. Sur les photos de Chana, ils sont joyeux et pleins de vie. (...)
Armés de glaise, de fusain, de pinceaux, ils créent ce monde où ils aimeraient vivre, ils creusent mille sillages pour l'atteindre. Et Montparnasse, tel un phare dans la nuit, devient ce pays qu'ils se sont choisi." (p. 56)

"Après la mort d'Ary, de Modigliani et de Jeanne, la vie de Chana a bien changé. Qu'on ne lui parle plus de la guerre, ni des gueules cassées qui arpentent les boulevards. (...)
Dès qu'elle aperçoit une veste épinglée de médailles militaires, elle détourne les yeux. Désormais, elle élève seule son enfant. Il est tout son monde. Elle se consacre à lui et à son art, et autour d'eux plus rien n'existe. de cette période-là, elle dira quelques années plus tard qu'elle accumulait les handicaps : " Etrangère, juive, artiste, femme et maintenant
veuve et mère (...) "(p. 137)

Ouvrage très prenant...Nous souffrons avec Chana Orloff lorsque la seconde guerre fait ses ravages en France et sous le ciel parisien, où la chasse aux juifs devient malheureusement l'occupation de trop
d'individus !!.

Jean Paulhan et son fils, Frédéric [ami d'enfance de Didi, fils de la sculptrice] les aidèrent à partir se réfugier en Suisse. Chana Orloff ne pourra revenir dans son "Paris adoré" qu'à la fin de la guerre, trouvant sa maison-atelier vandalisée, sculptures dévastées, tableaux volés... Sa famille la suppliera de les rejoindre en Palestine, mais elle restera a Paris, en faisant de
nombreux voyages entre les Etats-Unis, et Tel Aviv...

Nous ne pouvons qu'admirer le talent, et les courages incroyables de Chana... à travers les terribles épreuves subies...et tous les amis chers , disparus, dont la mort de son grand ami, Soutine !

Rebecca Benhamou...nous fait, par son récit très précis, "toucher" les multiples chagrins, épreuves de l'artiste, vécus entre les pogroms de son Ukraine natale, la première puis la seconde Guerre mondiale, avec ses atrocités et à nouveau la persécution des Juifs !

Sa sculpture va évoluer, se transformer, changer du tout au tout: aux lignes épurés, stylisés, harmonieuses des débuts, la reprise de son art après les années noires, va être pleine d'aspérités ,comme cette oeuvre "Le Retour" inaugurant une nouvelle période créatrice , mais beaucoup plus âpre, tourmentée !

Un immense MERCI à l'auteur d'avoir su nous faire partager sa passion et son admiration pour cette artiste hors du commun, à tous points de vue...J'ai été très sensible aux remarques subtiles de la "biographe" pour "l'Objet" de son étude !... Elle découvrit grâce à sa maman l'oeuvre de Chana Orloff...et ensuite l'oeuvre et la Femme, exceptionnelles...ont fait leur chemin dans la tête de Rebecca Benhamou ... pour notre plus grand plaisir !

Pour parachever , prolonger cette très forte lecture, il ne me reste plus qu'à aller visiter, découvrir , la Villa Seurat, imaginée et construite par Auguste Perret, sa maison-atelier, ...dans le 14e parisien !
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