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Critique de Pasoa


Une fois n'est pas coutume dans mes critiques d'après lecture, au lieu de parler du livre, du style, du contexte, des thèmes et des influences de l'écrivain, je fais le choix ici d'aborder un recueil – en l'occurrence L'Embrasure de Jacques Dupin, un auteur d'une oeuvre poétique que j'aime beaucoup - par le biais d'un seul texte, ou plutôt par un seul de ses nombreux thèmes : la poésie

Ce texte n'est pas un poème. Il n'en a ni la forme, ni l'éloquence. Dans ce texte, Jacques Dupin livre sa réflexion sur la poésie.

Voici le texte :

« Expérience sans mesure, excédante, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours davantage le manque et le tourment qui la suscitent. Et ce n'est pas pour qu'elle triomphe mais pour qu'elle s'abîme avec lui, avant de consommer un divorce fécond, que le poète marche à sa perte entière, d'un pied sûr. Sa chute, il n'a pas le pouvoir de se l'approprier, aucun droit de la revendiquer et d'en tirer bénéfice. Ce n'est qu'accident de route, à chaque répétition s'aggravant. le poète n'est pas un homme moins minuscule, moins indigent et moins absurde que les autres hommes. Mais sa violence, sa faiblesse et son incohérence ont pouvoir de s'inverser dans l'opération poétique et, par un retournement fondamental, qui le consume sans le grandir, de renouveler le pacte fragile qui maintient l'homme ouvert dans sa division, et lui rend le monde habitable. »

Ce texte écrit en 1969 m'a beaucoup intéressé. Si j'apprécie beaucoup de lire de la poésie, je cherche aussi à comprendre le fait poétique, ce qui définit la poésie.
Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy, Jean-Michel Maulpoix, Jean-Pierre Siméon et beaucoup d'autres auteurs ont beaucoup écrit sur elle, ont tenté de définir les contours, les conditions et les conséquences de l'écriture poétique.

En dehors de ces travaux, on pense volontiers aujourd'hui que la poésie est avant tout affaire de goût personnel, d'intérêt particulier. Elle est là pour combler une attente, un besoin. On utilise la poésie pour trouver un réconfort, voire pour certains, pour « sauver le monde ».

La poésie est aujourd'hui largement promue : le marché de l'édition se porte aujourd'hui très bien. On ne compte plus les jeunes maisons d'édition qui publient de plus en plus d'auteurs (la plupart inconnus). Actives sont les Maison de la poésie présentes dans toutes nos régions, qui proposent chacune des soirées lecture ou des poésie-concerts. Puis ce sont les salons de la poésie qui se multiplient un peu partout en France, avec des rencontres organisées avec les auteurs. C'est encore l'éclosion des sites en ligne dédiés à la poésie, l'utilisation des réseaux sociaux par de nombreux auteurs pour diffuser leurs écrits, le nombre imposant d'ateliers d'écriture qui enseignent à tous les règles essentielles d'un bon poème, et plus retentissant encore, les « stars » de la poésie qui font dans le monde entier des soirées de lecture-promotion de leur livre dans de grandes salles pleines à craquer, moyennant le prix d'une place qui dépasse largement celui du recueil, etc.

On le voit, la poésie est partout… et nulle part.
Dans l'effort de promouvoir en grand la poésie, dans toute sa diversité et sa richesse, je crains que l'on ne perde notre vrai lien à la poésie, à ce qui en elle fait sens. Faire sa promotion à grande échelle, c'est susciter, créer un besoin chez le lecteur. L'enjeu est de taille : il faut aimer la poésie, il faut lire de la poésie, vendre de la poésie.

Vue ainsi, elle n'est plus réduite qu'à une valeur en soi, à une fonction, à une utilité. Les arguments éditoriaux ne manquent pas qui nous vantent une poésie « qui fait du bien », qui « sauvera le monde » (encore ?), une poésie « déjà 500 000 lecteurs ! », une poésie qui nous fait aimer un « poète-caution » et nous fait ignorer tous les autres, etc.

Une poésie qui ne créé pas de liens, une poésie qui se différencie, qui n'est plus qu'affaire de goût personnel, qui se retranche des autres et se réfugie dans l'adage « tous les goûts sont dans la nature », qui repousse toujours plus loin les limites de son audience, cette poésie-là m'effraie un peu.

A tout cela, je préfère une poésie multiple, diverse, surprenante, (é)mouvante, dans laquelle le lecteur vient creuser l'infinité du sens et l'oeuvre du langage. Je veux croire en une poésie qui laisse insatiable notre besoin de découvrir des auteurs, des styles, des formes, y compris celles contraires à nos préférences, à notre intérêt, source inévitable d'enrichissement et de vrai attachement à l'écriture, au fait poétique. Une poésie en tout cas détachée du temps et de ses injonctions, une poésie libre et ouverte.


Sans doute ai-je un peu dévié du propos de Jacques Dupin, que l'on veuille bien m'en excuser. Je reviendrai parler de ce grand poète.

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