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Critique de motspourmots


Il y a dans ce récit captivant, un supplément d'âme qui lui donne une dimension dramatique, émouvante et marquante. Car si le destin de Gabriële Buffet Picabia figure à lui seul le sujet en or d'un roman extraordinaire, la quête des soeurs Berest qui, en redonnant vie à Gabriële s'attachent à combler les trous d'un arbre généalogique crée chez le lecteur la petite vibration qui touche au coeur et remue en chacun des émotions profondément enfouies.

Mais parlons de Gabriële d'abord. Une femme incroyablement libre et déterminée pour son époque, d'une intelligence aigüe et d'une sensibilité rare à toute forme d'expression artistique. Née dans une famille bourgeoise et assez conformiste même si des formes de rébellion apparaissent chez certains membres, Gabriële impose sa volonté d'étudier la musique (elle veut devenir compositrice et ré inventer la forme musicale, rien que ça) alors que les écoles sont presque inaccessibles aux filles et s'attache à fuir le destin imposé à ses congénères, à savoir se marier et élever ses enfants. Pourtant, en 1908, alors qu'elle vient de passer dix ans à étudier la composition, elle rencontre Francis Picabia et abandonne tout pour lui. Picabia est alors un peintre dans la lignée des impressionnistes, reconnu au point de gagner beaucoup d'argent avec sa peinture et de le dépenser tout aussi rapidement en fêtes et en voitures, sa grande passion avec les femmes. Il avait tout pour faire fuir Gabriële et pourtant... A-t-elle su voir en lui le potentiel qui l'amènerait à ré inventer la peinture à condition d'être stimulé à dessein ? A-t-elle compris le rôle qu'elle-même pouvait jouer auprès de lui ? Quoi qu'il en soit, ce couple va traverser la première moitié du 20 ème siècle à la pointe de tous les mouvements avant-gardistes et auprès des artistes qui imposeront leurs marques.

Il y a un mystère Gabriële Buffet. Cette femme aurait pu elle-même être une créatrice mais elle a volontairement choisi de stimuler, d'influencer, de challenger ceux qui l'entouraient. Picabia, bien sûr pour lequel elle est une sorte de mère, d'amie, de manager, voire de nounou. Mais également Marcel Duchamp, Guillaume Apollinaire ou même Elsa Schiaparelli dans une autre catégorie. Gabriële est une cérébrale que les plaisirs du corps n'intéressent guère. Quant à l'intendance ménagère... Il faudra bien s'y résoudre lorsque naîtront quatre enfants auxquels Francis Picabia aura bien du mal à s'intéresser tandis que Gabriële tentera de gérer le minimum, toute occupée à la logistique destinée à suivre les lubies d'un Picabia qui a la bougeotte et traverse l'Atlantique à la moindre idée.

C'est effectivement passionnant pour le lecteur d'être entraîné dans ce tourbillon foisonnant d'un point de vue artistique et de se plonger dans les grandes théories de conceptualisation de l'art (je vous rassure, ce n'est pas plombant, même moi j'ai suivi). Pourtant, le mystère demeure. Gabriële Buffet, séparée de Picabia dans les années 20 même si les deux n'ont jamais cessé de s'écrire a vécu plus de cent ans et a fini ses jours totalement démunie. Peu attachée aux choses matérielles, elle donnait ou laissait prendre... On referme le livre avec l'impression d'avoir côtoyé une tornade sans avoir percé sa carapace. Gabriële voulait rester dans l'ombre, vivre l'instant présent sans se créer de chaînes. Or, lorsque les chaînes sont venues sous la forme d'enfants, elle a tout fait pour qu'elles n'entravent pas son chemin. C'est ce constat qui soudain donne au travail des soeurs Berest tout son relief dramatique. Elles sont elles-mêmes des maillons de l'une de ces chaînes.

Un récit foisonnant pour un destin hors du commun, un voyage dans le bouillonnement artistique du début du 20ème siècle, une incroyable figure de femme. Mais ce qui m'a le plus émue c'est peut-être ce que les deux auteures (qui ne font vraiment qu'une dans l'écriture) ne disent, ni n'écrivent. Ce lien nié par Gabriële, sorte de vide au silence assourdissant.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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