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Critique de fabienne2909


« Derrière chaque grand homme se cache une femme, mais pourquoi ne pas dire une grande femme ? Après tout, si l'homme est grand c'est en partie grâce à elle. La femme doit être là pour épauler son homme et le propulser au sommet pour qu'il soit GRAND. » En faisant quelques recherches, je suis tombée sur cette citation d'un certain Fabien Sullivan Grandfils. Je n'ai pas réussi à savoir qui est-ce, ni s'il existe réellement (si un(e) Babéliote cultivé(e) passe par là…), mais, à part la formulation des deux dernières phrases (avec lesquelles on sera d'accord ou pas en fonction de son degré féministe), je trouve qu'elle s'applique bien à « Gabriële », d'Anne et Claire Berest.

Car Gabriële, c'est une sacrée femme ! Iconoclaste, rebelle, anti-conformiste, mais surtout d'une intelligence brillante et redoutable, les mots forts et impactants ne manquent pas pour la décrire. Née à la fin du XIXe siècle, cette femme eut une vie hors norme et plurielle : décidée à échapper au mariage et à vivre de sa musique, Gabriële fut l'une des premières femmes à intégrer la section composition d'une école de musique parisienne, avant de partir vivre (seule, au tout début des années 1900 !) en Allemagne pour parfaire son art. Cette trajectoire prometteuse se termina brusquement avec la rencontre de Francis Picabia, et contre toute attente, avec leur mariage, à partir duquel Gabriële disparut (« s'effaça » volontairement, selon les autrices) derrière l'artiste pour l'accompagner, depuis les coulisses, dans la révolution qu'il voulait apporter à la peinture d'alors, régie par l'impressionnisme. Manager, gouvernante, muse, femme, mère, Gabriële sut être multiple pour le fantasque, l'inconstant, l'infidèle, le dépressif Francis Picabia, ce qui n'était pas de tout repos. Mais elle sut, ce qui est remarquable à cette époque, rester toujours libre. Dans cette vie à mille à l'heure que retranscrivent avec brio Anne et Claire Berest, on rencontre tout le gratin des arts de l'époque : Marcel Duchamp, Guillaume Apollinaire, Picasso…

Mais Gabriële était aussi l'arrière-grand-mère maternelle d'Anne et Claire Berest, ce qu'elles ont découvert assez tardivement, leur mère n'ayant pas de liens avec la famille Picabia (Gabriële n'était pas spécialement maternelle – c'est le moins qu'on puisse dire - ni préoccupée de sa descendance). Ainsi, c'est à un exercice à l'envers que les soeurs Berest se sont employées : raconter son histoire à leur mère, alors qu'habituellement, c'est plutôt l'inverse…

Le tout forme un roman littéraire (Anne et Claire Berest ont comblé les trous, nombreux, dans l'histoire de Gabriële par des événements imaginés, bien qu'inspirés par leur compréhension de ces personnages familiaux qu'elles se sont peu à peu appropriées) très érudit : l'exercice biographique (sans jamais être hagiographique, ni revanchard) leur permet en filigrane de raconter l'évolution de la peinture française moderne et d'avant-garde (notamment la naissance du cubisme, du mouvement dada et les balbutiements du surréalisme). Il redonne également vie à des personnages historiques (je pense à Guillaume Apollinaire, ce grand homme – à tous les sens du terme – attachant), Gabriële ayant connu à peu près tous les artistes français d'alors (son intelligence la rendait magnétique). Quelques paragraphes plus personnels placés en fin de chapitres par les autrices viennent donner une autre dimension à cette biographie de leurs aïeux, et rappeler que ce roman est avant tout une recherche de leurs origines. Cela donne un roman très personnel, tout en restant dans la pudeur (je n'ai pas eu l'impression qu'elles tirent une fierté particulière de cette famille qui leur reste malgré tout inconnue, et qui a provoqué beaucoup de souffrance chez leur mère). Une pudeur face à une douleur familiale sourde qui a peut-être provoqué chez moi une mise à distance avec les personnages du roman, que je n'ai pas trouvés particulièrement attachants ni très sympathiques… (mais doit-on aimer les personnages des romans que l'on lit ?)

Mais « Gabriële » n'en reste pas moins un très beau roman que je vous conseille vivement !
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