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Critique de Apoapo


Cet ouvrage - issu d'un séminaire tenu en 1984 - a une portée absolument révolutionnaire sur la manière de concevoir et de pratiquer la traduction, depuis Saint Jérôme et son : "non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu" (p. 32).
L'auteur caractérise la figure traditionnelle de la traduction selon trois dimensions, à chacune desquelles il oppose l'envers exact :
a) dimension platonicienne = translation du "sens" -> traduction de la "lettre" (qui n'est pas du tout le "mot-à-mot", ou trad. servile, mais recentrage sur le signifiant) ;
b) dimension ethnocentrique = "acclimatation" de l'autre dans le propre -> traduction éthique (ou reconnaissance et réception de l'Autre en tant qu'Autre p. 74 + Civilisation propre (Bildung) dans un rapport dialogique à l'Autre) ;
c) dimension hypertextuelle = unissant la trad. donnée à la tradition littéraire autochtone -> traduction poétique : augmentation de l'élasticité de la langue d'arrivée "jusqu'à la déchirure" (cf. Victor Hugo) ; trad. comme "manifestation" du texte source (Hölderlin).
Les raisons de cette révolution ont un fondement théorique - selon la conception traditionnelle, toute trad. n'est que manque ou imperfection, et corrélativement l'intraduisible est une valeur - et elles apparaissent empiriquement pour contrer une série de tendances déformantes des traductions centrées sur le "sens" :
la rationalisation, la clarification, l'allongement (redondance), l'ennoblissement et la vulgarisation, l'appauvrissement qualitatif, l'appauvrissement quantitatif, l'homogénéisation, la destruction des rythmes, la destruction des réseaux signifiants sous-jacents, la destruction des systématismes textuels, la destruction (ou l'exotisation) des réseaux langagiers vernaculaires, la destruction des locutions et idiotismes, l'effacement des superpositions de langues. pp. 53-68.
L'éthique de la traduction, en outre, peut être prise comme raison autonome et suffisante. pp. 69-78.
S'ensuit la "pars construens" de l'essai, à savoir trois traductions célèbres et controversées, qui sont choisies comme des emblèmes de cette conception "littérale, éthique et poétique" que Berman préconise : l'Antigone et l'OEdipe-roi de Sophocle par Hölderlin, Milton traduit par Chateaubriand, l'Enéide de Virgile traduite par Klossowski.

Autant les trois premiers chapitres de la "pars destruens" m'ont paru exceptionnels de clarté, convaincants, indispensables, authentiquement visionnaires (surtout en termes d'ouverture philosophique et éthique dans la praxis), autant les trois derniers, tout en ayant le mérite d'indiquer sans ambiguïté où l'auteur "veut en venir", ont été pour moi difficiles à accepter ; des exemples d'excès, là où l'excès se mesure à et se paie par l'illisibilité. En même temps, pour un traducteur pratiquant, ils sont très utiles, peut-être plus que tant d'ouvrages hermétiques de traductologie fumeuse, car ils montrent des exemples concrets, phrases et leurs différentes traductions comparées.
Lecture exigeante mais qui sait récompenser...
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