S'il y a un livre qu'il faut lire en version originale, c'est l'autobiographie de
Chuck Berry. Car cette autobiographie n'a pas été écrite par un nègre (ha ha, je sais, c'est pas drôle) mais par le maitre himself, à l'occasion du dernier de ses trois séjours en prison.
Et c'est bien la même plume, qui a écrit ces merveilles de concision que sont ses grandes chansons des 50s et 60s, et qui nous régale ici de l'histoire de sa vie parfois tumultueuse. Jusqu'en 1987, date de sa publication.
Et oui : trois séjours en prison. le premier sur une erreur de jeunesse, une virée idiote avec deux autres jeunes imbéciles, assortie de casses de petits commerces, c'est dire le niveau. Il prend dix ans, sentence maximale, après un procès de vingt et une minutes et il en fera trois. Pour le second, l'histoire est la plus connue : il est arrêté et jugé pour avoir traversé la frontière entre deux états avec une mineure dans sa voiture. Il prétend jusque dans ce livre qu'elle lui avait dit être majeure. Il prend trois ans. Et le dernier, il tombe pour fraude fiscale et fait six mois, durant lesquels il écrit donc le gros de ce livre.
Et c'était qui, ce
Chuck Berry ? Un fils de pasteur, né à la ville dans une famille éduquée, ce sont les débuts d'un début de middle class noire dans le Sud. Il est donc éduqué dans une atmosphère plutôt religieuse et n'a pas eu à souffrir d'un environnement trop rude, comme il l'écrit : "J'avais entendu parler de ces problèmes raciaux pendant des années par mon père, sauf que ses histoires étaient plus graves. La différence que je pouvais mesurer entre ses histoires et mon expérience montrait que des progrès avaient eu lieu dans les rapports raciaux."
Reste qu'il gardera toute sa vie une retenue de ce point de vue, l'idée qu'un homme noir doit rester prudent. Cela commence par un épisode de jeunesse, où il faisait des petits boulots pour une femme blanche un peu inconsciente et il raconte à la fois son trouble et ses efforts pour éviter de se retrouver dans une situation potentiellement mortelle. Avec la célébrité et la vie sur les routes, il est un peu halluciné de voir les femmes et jeunes filles blanches du Nord se jeter à son cou, il en profite mais reste sur ses gardes. En tous cas, ses frasques n'ont jamais fait fuir sa propre épouse, et il a en parallèle une vie de famille et de businessman très stable.
De businessman, oui : au lieu de dilapider ses gains, il les investit, devient rapidement chef d'entreprise, ouvre un bar à St. Louis puis une centre de loisir (le Berry Park Country Club), recrute une secrétaire blanche (qui s'entendra demander par le procureur du procès de 1961 où elle est témoin : "Quelle genre de travaux de secrétariat réalisez-vous exactement ?" et "Avez-vous dit à votre famille que vous travaillez pour un négro ?").
Voilà.
Rassurez-vous, il parle aussi de musique, des musiciens, producteurs et autres promoteurs qu'il a côtoyés. Mais ce qu'on retient, c'est surtout l'image d'un homme très down to earth, les pieds sur terre et près de ses sous, qui estime au final qu'il a eu beaucoup de chance, et qui se livre sans fard.
Sans fard ?
Je lui laisse sa conclusion de vieux gredin : "Je suis certain qu'il y a beaucoup de choses dont j'ai oublié de me souvenir en écrivant ce livre, mais les principaux moments de ma vie y sont. Je suis également certain que mon autobiographie aurait été bien plus complexe si l'époque et l'attitude du public se prêtait davantage à l'exposé d'informations plus explicites concernant mes aventures personnelles. Mais ça viendra avec le temps."