La théorie des poignées de main

En le présentant, elle indique qu'il a été pendant longtemps le leader du Mouvement écologique de Lorraine. Pas dans un parti politique, précise-t-elle avec une certaine condescendance, mais de la vraie écologie, pour préserver la planète sans compromis.

Tu peux venir ce soir à la Casa Nostra ?

La science des réseaux étudie avant tout les phénomènes de propagation. Et lorsque vous y réfléchissez, tellement de choses se répandent par contamination autour de nous : les crises financières, les épidémies, les embouteillages, le courant électrique, les rumeurs, les modes vestimentaires et même votre café expresso se propage par percolation. A chaque fois que vous avez un réseau, vous avez un phénomène qui se diffuse dessus. Ce n'est pas nouveau, ce sujet est étudié depuis de nombreuses décennies. Ce qu'il y a d'intéressant avec nos moyens actuels, c'est de pouvoir confronter les modèles du passé, nécessairement simplificateurs, à la réalité.
S&T : Et comment procédez-vous ?
F.G. : Cela tient en deux mots très à la mode, justement : "big data". Ce vocable utilisé à tort et à travers de nos jours comporte malgré tout une grande part de vérité. Avec notre capacité à stocker d'aussi grandes quantités de données, avec la puissance de calcul qui permet de les exploiter, nous sommes aujourd'hui en mesure de vérifier des hypothèses et des théories comme jamais nos prédécesseurs n'ont pu le faire.

- Danoz, ce n'est pas cette industrie chimique hyperpolluante qui a eu un procès, il y a quelques années, parce qu'ils versaient des produits toxiques dans une rivière ?

- Cest une bonne question. J'aurais cherché dans toutes les directions possibles. S'il a des relations professionnelles ou amicales à Nancy, s'il s'intéresse à la photo comme moi, aux voitures anciennes comme mon frangin ou aux Harley-Davidson parce que mon cousin Steph est dans un club de motards depuis des années. Ce genre de machin, tu vois ?

J'espère relever le défi qui m'a été donné mais je ne prétends pas trouver une méthode infaillible. C'est comme le loto. On peut prédire qu'à partir d'un certain nombre de joueurs, il y aura un gagnant, mais de là à connaître la combinaison sortante..

- Mais tenter de mettre au jour des points communs n'est pas une si mauvaise méthode, quand tu y réfléchis. Regarde, là, autour de nous. Il y a plein de lycéens qu'on ne connaît pas, d'accord ?
Sophie scrute la place Stanislas autour d'elle.
- Absolument.
- Demande-toi combien il y a de lycées dans les environs. Deux, trois ? Toi et moi, on en a fréquenté un, il y a à peine dix ans. Eh bien s'ils sont dans celui-là, il y a de bonnes chances pour qu'ils aient au-moins un de nos anciens professeurs. Et s'ils n'y sont pas, il y a sans doute quelqu'un dans leur entourage ou dans le nôtre qui peut faire la liaison entre les deux lycées. C'est çà, le principe. Tu cherches des similitudes entre toi et ta cible et, à partir de là, tu examines les sommités de cette particularité, comme les profs.

Tu sais qu'elle a failli rester coincée à l'aéroport parce qu'on ne voulait pas qu'elle monte dans l'avion avec sa cheville cassée ? Il paraît que ça favorise les risques d'embolie.

Par cette douce température de début juin, la place Stanislas est pleine de monde. Des grappes de lycéens qui chahutent en s'envoyant leurs cartables dans les mollets, des jeunes mères promenant leurs bambins en poussette, des couples, des personnes seules de tout âge, flânant le nez en l'air, respirant à pleines narines l'été qui approche. Installé à la terrasse du Grand Café Foy, Antoine les observe avec un agréable sentiment de familiarité. Le cafard qui s'est abattu sur lui deux jours plus tôt s'est totalement dissipé. L'osso bucco de sa mère, le soutien de Francis, l'arrivée imminente de Pauline, tout contribue à sa bonne humeur et à son optimisme.

Antoine pense à sa mère, femme au foyer, reine incontestée de l'osso bucco familial, et à son père, ouvrier dans les usines de plaque d'égoût de Pont-à-Mousson.