L'île du diable

La journée qui s’annonçait était certes particulière pour elle. Aucune raison que la prison et les trois cents autres détenues changent leurs habitudes.

Sarah ouvrit les yeux et fixa le plafond de sa cellule. D’où provenait ce bruit qui l’avait tirée de son sommeil ? Le cerveau engourdi par les molécules d’anxiolytiques, elle se redressa maladroitement sur sa couchette et regarda autour d’elle.
Une lueur morne irradiait du néon du couloir jusque sous la porte blindée et, avec la même luminosité blafarde, son réveil indiquait 5 h 53 du matin. Au loin, le vrombissement fatigué de la ventilation, une toux précédant le grincement d’un sommier usé et, dehors, la complainte étouffée du vent qui frottait entre les barbelés des remparts. Tout semblait normal.

Il est temps de mettre en œuvre la vengeance libératrice, déclarant alors Adrien. Il est temps de corriger ce que la vie a même fait. Il est temps de commencer ta guérison

Ils ont voyagé debout pendant six jours, entassés les uns sur les autres sans presque rien à manger ni à boire. Ils ne pouvaient pas s’allonger plus de deux heures par jour pour dormir, par manque de place.

Elle chercha au plus profond d'elle la réponse à son dilemme. Pendant un long moment, elle se débattit avec ce choix impossible, passant de la colère au rêve, de l'espoir à l'abattement le plus sombre.

Il la palpa pour détecter d'éventuels ganglions, au cou et aux aisselles. Puis il plaça son stéthoscope sur la poitrine de Sarah et sur son dos en lui demandant de prendre de grandes inspirations.
Sarah fut touchée par la bienveillance du légiste. Et cette douceur qu'elle n'avait pas connue depuis un an libéra une telle tension qu'elle ne put retenir les larmes qui embuèrent son regard. Les gouttes qui coulaient sur son visage apportaient à ses lèvres le goût salé de la tristesse.

Sarah commençait à mesurer à quel point elle s’était refusée de voir le mal-être de ses parents

Elle déplia le papier avec d’infinies précautions. Le texte manuscrit était en caractères cyrilliques. Sarah était incapable de le déchiffrer. À part peut-être la ligne qui précédait le corps du texte et qui ressemblait à une date : 14 suivi d’un mot qu’elle ne comprenait pas et du nombre 1933.
À la lecture de l’année, Sarah frissonna de tout son corps. 1933, la période de l’entre-deux-guerres qui semblait être au cœur des recherches de son père, comme le prouvaient les ouvrages de sa bibliothèque. Que s’était-il passé dans sa vie cette année-là ?

En cet instant, tout l’amour qu’elle avait pour son père jaillit en elle et fit exploser son cœur. Elle avait mal, tellement mal. Secouée par les spasmes du chagrin, Sarah s’en voulait. Elle s’en voulait à la fois d’aimer son père et de le détester de ne leur avoir dit qu’une seule fois dans sa vie ce qu’il ressentait pour elle et sa sœur.
Maintenant, il était trop tard. Son père, cet inconnu, était mort.

- Vous avez le don pour vous infliger de drôles de tourments, Sarah.