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Critique de Henri-l-oiseleur


Quand Hérodote a voyagé en Perse et en Egypte, il a pris pour argent comptant tout ce que les mages et les prêtres lui racontaient. Nous avons ainsi hérité de lui une Perse et une Egypte que pendant de longs siècles, nous prenions pour les vraies. Jean-François Billeter fait un peu le même reproche à François Jullien dans ce petit livre qu'il lui consacre : prendre pour "la" Chine, "la" pensée chinoise, ce qui n'est qu'un discours dominant tenu sur elle-même par la classe des mandarins et des lettrés, sous la domination sourcilleuse des dynasties successives dont elle servait et légitimait le pouvoir despotique. Cette erreur initiale commise par l'abondant philosophe François Jullien est étudiée d'abord dans son histoire : l'utopie chinoise que les philosophes des Lumières se sont fabriquée, sans trop s'inquiéter de son exactitude, est le milieu et la tradition où François Jullien s'inscrit. Partant de là, il pratiquera une lecture (et pire, une traduction) sélectives des textes dont il va se servir, en les sélectionnant selon ses idées préconçues. Ainsi naît "la pensée chinoise", généralité aussi absurde que "la pensée occidentale" (où l'on fourrerait tout le monde, depuis Parménide jusqu'à Bernard-Henri Lévy). François Jullien s'est proposé non de faire oeuvre de sinologue, mais de philosophe : il pense qu'en s'aidant de "la" pensée chinoise, il dévoilera par comparaison, l'impensé, comme il dit, la nature profonde, de "la" pensée occidentale. Jean-François Billeter attaque cette entreprise dans ses fondements mêmes, en montrant qu'elle n'a guère de sens, ni de rigueur intellectuelle.

Pourquoi lire ce petit livre, si l'on n'est ni philosophe, ni sinologue ? D'abord, il n'est pas interdit de fournir un peu d'aliment à sa pensée, et à sortir de sa zone de confort. Philosopher n'a jamais fait de mal à personne, surtout sous cette forme accessible, clairement dite et élégamment éditée. Ensuite, la controverse entre les deux auteurs peut ne pas intéresser, mais il y a quelque chose de réjouissant à voir se dissiper les ténèbres pédantes des traductions de livres chinois sur la Voie, le Non-Agir ou je ne sais quoi. Il est agréable de comprendre enfin de quoi Confucius ou Lao-Tseu veulent parler. La Chine n'est plus cette autre planète inconnaissable qui fascine d'autant plus qu'on la connaît moins : il devient possible de s'y intéresser et d'en appréhender quelques aspects, par-delà la langue. Enfin, je suis reconnaissant à l'auteur d'évoquer la figure du "lettré" rebelle Li Tcheu (Li Zhi), auteur du "Livre à brûler" (1590) et du "Livre à cacher" (1599). le portrait qu'il en dresse rappelle par certains côtés Giordano Bruno ou Comenius. Sa seule présence dans ce petit livre suffit à faire douter des rêveries de François Jullien.
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