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Citations sur Contre François Jullien (14)

De même François Jullien parle des penseurs chinois comme s'ils avaient toujours été d'accord entre eux, du seul fait qu'ils étaient chinois, et comme si leur pensée n'avait jamais comporté d'apories, d'illusions, d'ambitions inavouées, de mensonges intéresses ou de froide volonté de domestication des esprits, mais aussi de doute, de lucidité, de courage, d'audace - ce qui revient à nier que leur pensée ait un quelconque avec l'histoire et qu'elle ait pu jouer un rôle. Cela équivaut aussi à renoncer à toute critique et donc, selon moi, à toute intelligence approfondie. Enfin cela consiste à nier l'idée même de philosophie, qui est nécessairement, en Chine comme ailleurs, une entreprise éthique et intellectuelle individuelle.
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Comme je l'ai indiqué, on peut faire d'autres choix que François Jullien. On peut renverser sa méthode et obtenir des effets qui sont à l'opposé de ceux qu'il obtient.
Ce renversement est observable dans le travail du traducteur. J'ai relevé que beaucoup de sinologues, quand ils traduisent des textes philosophiques, posent a priori que la pensée chinoise est différente de la nôtre, puisqu'elle est fondée sur des notions telles que le Tao par exemple, et traduisent en conséquence, prouvant par leurs traductions ce qu'ils ont posé au départ. Pour sortir de cette circularité, il suffit d'inverser ce mécanisme, de poser d'emblée l'unité foncière de l'expérience humaine, de chercher à comprendre à partir de là le texte qu'on a sous les yeux et rendre ensuite le plus naturellement possible en français ce que le texte dit. Pour cela, il ne faut pas traduire en premier lieu les mots, mais la phrase, en tenant compte du contexte. Les exemples que j'ai donnés prouvent que c'est possible, la plupart du temps, et que c'est même souvent facile lorsqu'on a bien compris le sens de la phrase.
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Les sinologues devraient combattre ce mythe de la Chine "autre" parce qu'il est en lui-même une régression intellectuelle et parce qu'il menace les études chinoises. L'étude du passé chinois est en train de tomber en déshérence dans nos meilleures institutions parce qu'elle apparaît de plus en plus comme une occupation dénuée de sens pour les étudiants. Pour renverser cette tendance, il faut que les sinologues cessent de faire de l'étude de la Chine une fin en soi. Il faut qu'ils exercent publiquement leur jugement et fassent savoir pourquoi ils estiment que tel ouvrage mérite d'être connu du public, ou ne le mérite pas; qu'au lieu de justifier son intérêt par le seul fait qu'il est chinois, ils le présentent comme un élément important de l'histoire humaine, saisie dans son unité; et qu'ils renouvellent pour cela leurs façons de présenter les oeuvres, et d'abord de les traduire.
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Dans l'histoire de la Chine comme dans la nôtre, certains (...) mots ont été valorisés à l'extrême. Ils ont servi de clé de voûte à un édifice de langage, à un système de pensée, à tout un ordre politique et social. Le Tao a été le premier de ces mots durant toute l'époque impériale. Cela se voit par exemple dans le Houai-nan-tseu (ou Huainanzi), dont une traduction a paru récemment dans la Bibliothèque de la Pléiade. Ce gros ouvrage, qui date du IIe siècle avant notre ère, donc des débuts de l'empire, consiste, de bout en bout, en un éloge dithyrambique et confus du Tao. Les sinologues qui l'ont traduit ont laissé ce mot dans leur traduction, ce qui rend l'ouvrage incompréhensible. Ils auraient pu mettre à la place la "Nature", car la "Nature" aussi engendre, est engendrée et se régénère selon ses propres lois, peut servir de modèle à une action sans cesse renouvelée, etc. S'ils avaient pris ce parti, le lecteur comprendrait sans peine que le Houai-nan-tseu est un ouvrage politique qui vise à fonder en nature le pouvoir impérial. Cela aurait placé cette oeuvre, non dans un Ailleurs fantastique et inaccessible, mais dans un passé historique que nous pouvons comprendre comme nous comprenons le nôtre.
Cet exemple montre à merveille qu'un choix de traduction suffit à créer le mirage d'un univers intellectuel entièrement séparé du nôtre et qu'un choix différent aurait, au contraire, placé l'ouvrage sur le sol commun de l'histoire des pouvoirs et de leurs idéologies, et aurait ipso facto fait apparaître ce que le pouvoir impérial des Han et ses différentes justifications imaginaires ont eu de particulier - ce qui aurait élargi de façon appréciable notre horizon historique et intellectuel.
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"Comment peut-on écrire en français des livres qui se réclament d'un regard du dehors, d'une déconstruction par le dehors", se demandait à [propos de François Jullien] Paul Ricoeur, avec sa courtoisie coutumière.
D'ailleurs, à supposer qu'une vraie confrontation fût possible dans ces conditions, comment un tiers pourrait-il saisir ensemble les deux formes de pensée mises en présence? Il y a là une autre difficulté insurmontable, car une forme de pensée n'a de réalité que lorsqu'on s'en sert pour penser et nul ne pense jamais simultanément de deux façons différentes. Ce que l'on peut à la rigueur tenir sous son regard, ce ne sont pas deux formes de pensée en acte, dans leur action réelle, mais seulement des formes vidées de leur substance, pareille aux dépouilles que les serpents laissent derrière eux après leur mue.
Cependant, François Jullien privilégie les notions. Il fait d'elles le pivot de plusieurs de se livres: le "procès" (tao ou dao) dans Procès ou création, la "propension" (cheu ou Shi) dans La Propension des choses, la "fadeur" (tan ou dan) Éloge de la fadeur, etc. - et bute sur une troisième difficulté. Pour mieux asseoir ses démonstrations, il adopte pour chacune d'elles une traduction française unique. Il se rend bien compte que ce procédé risque de fausser la signification de la notion chinoise ou de réduire sa portée, mais s'y résous néanmoins, et se tient ensuite au choix qu'il a fait. Il en résulte une distorsion très visible dans Éloge de la fadeur, pour ne citer que cet exemple. Dans les textes qu'il cite, il rend uniquement le mot tan par "fade" ou "insipide" alors que, dans la plupart des cas, il eut été plus juste de le rendre par fin, léger, délicat, subtil, imperceptible, ténu, atténué, dilué, délavé, pâle, faible, raréfié, etc. Pour signaler dans chacune de se traductions la notion (ou la valeur) qui lui importe, il enfonce partout, comme un clou, la traduction française à laquelle il s'est arrêté - crée par là un effet d'étrangeté artificielle. Dans la plupart des cas, il pouvait rendre le passage de façon beaucoup plus naturelle, avec la conséquence qu'il semblerait moins chinois et nous rappellerait ce que nos auteurs ont aussi dit. C'est ainsi que l'exotisme naît bien souvent chez François Jullien et chez les sinologues en général, d'un choix de traduction contestable.
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Ce mythe de la Chine philosophique plaît aux intellectuels français, me semble-t-il, parce qu'il constitue le pendant imaginaire de l'élitisme républicain qu'ils pensent incarner.
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Li Tcheu nous touche aujourd'hui aujourd'hui à cause de la vérité de ce qu'il dit et par son ton personnel et direct, qui est rare dans la littérature très codée des "lettrés" de l'époque impériale. Il est devenu un écrivain attachant parce qu'il n'a pas trouvé son bonheur dans le système des rôles hiérarchisés du milieu mandarinal, qu'il s'en est exclu et qu'il lui a fallu, par l'écriture et en se racontant, se définir en tant que personne. C'est ainsi qu'il a échappé à la "pensée de l'immanence" célébrée par François Jullien.
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(Sur la parution du Houai-nan-tseu - Huainan zi - classique chinois, dans la collection de la Pléiade).

Et pourquoi continuer à rendre /wou-wei/ par "non-agir", traduction acceptable du point de vue littéral, mais fausse du point de vue du sens puisque le verbe /wei/ signifie "agir volontairement" et que le /wou-wei/ n'est donc pas de l'inaction, comme le montre tout le Houai-nan-tseu, mais une action /qui ne force pas/ ? Il était si facile de remplacer 'non-agir' par "ne point forcer", quitte à modifier la forme des phrases où le terme apparaît - en traduisant par exemple le fameux /wou wei er wou pou wei/ par "qui ne force rien peut tout"* ! (au lieu du traditionnel "qui pratique le non-agir, il n'est rien qu'il ne puisse accomplir", ou de la traduction de François Jullien, "Ne rien faire, mais que rien ne soit pas fait", sic, ou "Ne rien faire de sorte que rien ne soit pas fait"). Nos auteurs avaient une belle occasion de nous débarrasser des vieilleries sinologiques qui obstruent l'accès aux texte chinois anciens. Par ce volume de la Pléiade, ils l'ont hélas encombré un peu plus.

"Qui ne force rien peut tout" : formule venant de Lao-tseu, §37.

p. 108
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En parlant continuellement du "lettré" chinois, François Jullien crée une illusion d'optique, (....). Il fait penser à un homme libre, disposant de loisirs et œuvrant de façon désintéressée au maintien d'une tradition ou au progrès de l'esprit. Par l'usage de ce mot magique, François Jullien escamote tout simplement l'histoire. Les "lettrés" (...) sous l'empire, ont pratiquement tous été des fonctionnaires de l'administration impériale, c'est à dire des agents de la puissante machine qui, du gouvernement central et des gouvernements provinciaux, étendait son action aux préfectures et sous-préfectures. (...) Dans l'ensemble, c'étaient des commis de l’État, grands et petits, qui vivaient dans un monde clos.
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Lorsqu'on pose "a priori" la différence, on perd le fond commun. Quand on part du fond commun, les différences apparaissent d'elles-mêmes.
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