Citations sur L'invention de Morel (52)
Où il n'y a pas d'écho, le silence est aussi horrible que ce poids qui, dans les rêves, vous empêche de fuir.
J’écris ces lignes pour laisser un témoignage de l’hostile miracle. Si d’ici quelques jours je ne meurs pas noyé, ou luttant pour ma liberté, j’espère écrire la Défense devant les Survivants et un Éloge de Malthus. J’attaquerai, dans ces pages, les ennemis des forêts et des déserts ; je démontrerai que le monde, avec le perfectionnement de l’appareil policier, des fiches, du journalisme, de la radiotéléphonie, des douanes, rend irréparable toute erreur de la justice, qu’il est un enfer sans issue pour les persécutés. Jusqu’à présent je n’ai rien pu écrire, sinon cette feuille, qu’hier encore je ne prévoyais pas. Que d’occupations dans une île déserte ! Que la dureté du bois est implacable ! Combien plus vaste l’espace que le vol de l’oiseau !
Livre extraordinaire. Le style est très efficace : d'abord on le trouve très laid, au point d'en être mal à l'aise, mais vite on sent qu'on est pris par ce malaise, on ne peut plus lâcher le récit. Les "apparitions" d'abord mystérieuses reçoivent une explication simple, mais cette simplicité fait encore mieux ressortir la complexité, la richesse du narrateur et le mystère qui l'entoure (qui est il? d'où vient il? qu'a t il fait ?). J'avoue que j'avais été un peu refroidi par la préface de Borges. Il présente "l'invention de Morel" comme un livre ingénieux et c'est justement ce qui me gêne souvent chez Borges : ls idées qui sont derrière ses récits sont si malines et si présentes que le récit lui-même y perd à peu près toute sa valeur littéraire (en tout cas, pour moi) et donc presque tout son intérêt. Ici c'est juste le contraire : l'idée ingénieuse (la fameuse invention), renforce l'intérêt du "reste" de l’œuvre au lieu de l'épuiser. En ce sens on est bien plus proche de "la jetée" de Chris Marker que de Borges (et donc bien au dessus de Borges, mais cette appréciation n'engage que moi).
Ce roman m'avait été "imposé" d'abord à la fac, mais après deux lectures (non consécutives évidemment), il est devenu pour moi une grande référence.
A tel point que j'ai souhaité en faire une adaptation libre cinématographique (je n'ai pas vu l'officielle adaptation de 1967).
L'étrangeté de cette rencontre, être intrigué par une éternité cyclique... http://fr.ulule.com/forst/
Il se dévore en quelques jours et est clairement à recommander. Et certains pourront y voir la référence dont se sont inspirée certains films et séries...
Je crois que nous perdons l’immortalité parce que la résistance à la mort n’a pas évolué ; nous insistons sur l’idée première, rudimentaire, qui est de retenir vivant le corps tout entier. Il suffirait de chercher à conserver seulement ce qui intéresse la conscience
Un Italien, qui vendait des tapis à Calcutta, m’a donné l’idée de venir ici ; il m’a dit (dans sa langue) :
— Pour un persécuté, pour vous, il n’y a qu’un endroit au monde, mais on n’y vit pas. C’est une île. Des Blancs y ont construit, vers 1924, un musée, une chapelle, une piscine. Les bâtiments sont terminés, abandonnés.
Je pers la vue. Le toucher m'est devenu impraticable ; ma peau tombe ; les sensations sont ambiguës, douloureuses ; je m'efforce de les éviter.
Je compris que ce qu'avait dit Morel quelques heures auparavant était vrai (mais il est possible qu'il ne l'eût pas dit pour la première fois quelques heures auparavant, mais bien des années auparavant; il le répétait parce que cela se trouvait dans la semaine éternelle, sur le disque éternel).
J'éprouvai de la répulsion, presque du dégoût, pour ces gens et leur inlassable activité répétée. Ils se montrèrent plusieurs fois, là-haut, sur la crête. Vivre dans une île habitée par des fantômes artificiels était le plus insupportable des cauchemars; être amoureux d'une de ces images était encore pire qu'être amoureux d'un fantôme (mais peut-être avons-nous toujours désiré que la personne aimée ait une existence de fantôme).
Si c'était une machination destinée à me capturer, pourquoi l'avoir imaginée si compliquée ? Pourquoi ne pas me mettre tout simplement la main au collet ?
Ils ont sorti le phonographe qui se trouve dans la chambre verte, contiguë au salon de l'aquarium et, femmes et hommes, assis sur des bancs ou sur l'herbe, ils ont passé le temps à converser, écouter la musique et danser, au milieu d'une tempête d'eau et d'un vent qui menaçait de déraciner tous les arbres.