Citations sur Le Très-Haut (31)
(...) le fleuve , lui aussi, semblait avoir coulé à travers le temps, affirmant avec sa vaste tranquillité qu'il n'y avait ni commencement ni terme, que l'histoire ne construisait rien, que l'homme n'existait toujours pas, que sais-je ? De cette assurance montait comme une tromperie suffocante, le rappel d'un mensonge, d'une duperie dans fin, une insinuation faite pour dégrader des sentiments nobles.
Je crois que quoique je fasse, je travaille utilement. Lorsque je parle, lorsque je réfléchis, je travaille, c'est évident. Tout le monde saisit cela. Mais même si je regarde n'importe quoi... ce bureau, ces bustes, oui, je travaille encore à ma manière : il y a là un homme qui voit les choses comme il faut les voir, il existe, et avec lui existent toutes les notions pour lesquelles nous avons lutté pendant tant de siècles. Je sens parfaitement que si je changeais ou si je perdais la tête, l'histoire s'écroulerait.
- Vous raisonnez trop, dit Iche.
Elle me regardait avec une affectation de regard juste, comme si j'avais agi d'une façon fautive et condamnable. Cela la vieillissait, la faisait paraître d'un autre temps. Elle avait un air arriéré, elle prétendait me faire regarder en arrière, moi aussi. J'appelai une petite fille qui portait une corbeille de fleurs et lui achetai un bouquet de violettes.
- Nous aurions mieux fait d'aller au cinéma, fis-je remarquer en sortant.
Mais cela n'empêche pas que la maladie soit un accident néfaste, une catastrophe : on ne saisit plus la loi, on la contemple, c'est mauvais. Dans un pareil moment, ma mère pourrait facilement me faire transporter chez elle.
(...) l'enthousiasme la dressait en l'air (...)
Mais surtout, parce que vous êtes tellement inféodé à ce monde que même lorsque vos pensées deviennent tout à fait bizarre, elles vous sont encore soufflées par lui, elles le reflètent, elles le défendent. Même votre maladie voudrait m'endoctriner. Oui, vous m'avez appris cela. C'est impressionnant. Cela en vaut la peine.
Du moment que je le regardais, j'appartenais au défilé et aussi longtemps que je défilais, je ne pouvais faire autrement que de le regarder.
- Que je me décide, peut-être. Réfléchissez : tous les événements de toute l'histoire sont là autour de nous, exactement comme des morts. Depuis le fin fond des temps, ils refluent sur aujourd'hui ; ils ont existé, certes, mais pas complètement : lorsqu'ils se sont produits, ce n'étaient que des ébauches incompréhensibles et absurdes, des rêves atroces, une prophétie. On les a vécus sans les comprendre. Mais maintenant ? Maintenant, ils vont exister pour de bon, c'est le moment, tout réapparaît, tout se révèle dans la clarté et la vérité.
- Oui, je suis malade. Mes idées sentent la maladie.
Au fond, c'est vrai, je parle ou je dors.