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Critique de enjie77



« Ma vie a désormais perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation » écrivit Marcel. La descente aux enfers durât deux ans avec des rémissions, des rechutes, des crises. Maman en mourant a emporté le petit Marcel, confia-t-il aussi.

Le petit Marcel était bien mort mais il avait donné naissance à l'écrivain. Un Marcel Proust qui passerait le reste de ses jours à élaborer une oeuvre dont sa mère aurait été fière. le plus beau témoignage de sa reconnaissance en est peut-être, tout simplement, la première phrase : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »

Oui, Maman aurait aimé cette phrase.

C'est sur cet épilogue que je referme ce livre les larmes aux yeux. Evelyne Bloch-Dano a écrit un très beau récit sur Jeanne Weil-Proust qui peut être lu par tout un chacun tant c'est fluide, vivant, intéressant, nul besoin de s'être penché sur La Recherche. Elle est présidente du jury du Cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec , c'est dire à quel point, elle est imprégné de son sujet qu'elle sait si bien nous illustrer.

Jeanne est issue d'une famille juive très aisée et parfaitement assimilée, d'origine alsacienne, pénétrée du Siècle des Lumières. Elle a vingt et un ans lorsqu'elle rencontre Adrien Proust de quinze ans son ainé. La famille Proust est originaire d'Illiers en Eure-et-Loir. Madame Virginie Proust tient l'épicerie du centre bourg. Famille modeste, de religion catholique et très pieuse, le grand-père d'Adrien fournissait même les cierges de la paroisse, peut-on imaginer une Weil épouser un descendant d'un marchand de cierges ? Adrien est bel homme. A 36 ans, il est chef de clinique et agrégé de médecine. Il est considéré comme l'un des espoirs français de la médecine et il est libre-penseur. Jeanne sait qu'elle restera fidèle à ses origines, jamais elle ne se convertira. La jeune fille juive et le fils d'épicier s'unissent au seuil d'une bourgeoisie laïque que la Troisième République va porter au pinacle. le mariage a lieu le samedi 3 septembre 1870, le lendemain de la défaite de Sedan. La famille Weil est au grand complet mais aucun des Proust ne sera présent ?

Marcel nait le 10 juillet 1871, après la semaine sanglante, et Robert le 24 mai 1873. On imagine aisément la grossesse de Jeanne pour Marcel étant donné la période. Peu d'écart entre les deux frères dont l'éducation incombera à Jeanne. Comme dans toute fratrie, une certaine rivalité se faufilera dans les rapports entre les deux frères mais leur amour fraternel ne sera jamais altéré.

Les Weil sont très unis, solidaires et fusionnels, il y a énormément d'amour qui circule entre les membres de cette famille comme une abondante correspondance en fait foi. Adrien va s'y intégrer très facilement. L'auteure fait revivre les beaux jours d'Auteuil sous nos yeux. C'est l'oncle Louis qui achète la maison d'Auteuil. La maison bruisse des éclats de voix, du bonheur des retrouvailles, le souvenir des cousins qui courent partout, ça pleure, ça rit. Et c'est ainsi en pénétrant l'intimité de cette famille, rendue si concrète sous la plume d'Evelyne Bloch-Dano, que l'on discerne page après page, l'impact qu'a eu cette parentèle sur l'imaginaire de Marcel dans La Recherche. C'est une très belle promenade que cette biographie. le style de l'auteure suggère aisément les scènes qui se déroulent sous nos yeux notamment les bains de mer de Jeanne, ses séjours en cure où ses garçons vont l'accompagner.

Marcel n'est pas un enfant comme les autres. Doté d'une hyper sensibilité, d'un tempérament anxieux, il ne peut courir, sauter, sans le risque de déclencher une crise d'asthme. Cette maladie lui rend la vie difficile sans parler de la méconnaissance de cette maladie qui ne fait qu'alimenter les angoisses existantes de ses parents. Jeanne a peur, elle ne cesse de prodiguer soins et recommandations à son enfant. Un cercle vertueux qui devient un cercle vicieux, les liens se resserrent, l'angoisse de la séparation se fait plus douloureuse.

Un proverbe touareg dit que la mère préfère le petit tant qu'il n'a pas grandi, l'enfant malade tant qu'il n'a pas guéri et celui qui voyage tant qu'il n'est pas revenu « j'avais toujours quatre ans pour elle » dira Marcel.

Evelyne Bloch-Dano nous éclaire sur cette relation fusionnelle entre Marcel et Jeanne, elle dépeint avec force l'intensité de leur attachement. Mais Jeanne est aussi une femme cultivée, active, que j'ai beaucoup aimé accompagner jusqu'à son décès. Cette biographie est aussi une très jolie carte postale d'une époque disparue malgré les conflits qui ont jalonné cette période. Marcel est présent, on peut le suivre en Normandie, à Cabourg, au Grand Hôtel, à Trouville-sur-Mer, au Père-Lachaise. Lire des passages de ses lettres suscite beaucoup d'émoi comme la présence de ces photographies qui sont annexées au livre. Toute cette jolie construction donne un sentiment d'intimité avec Jeanne et sa famille et contribue à une très belle lecture qui nous les rend tellement proche ; quant à moi, l'émotion ne m'a pas quittée.

L'exposition du musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme consacrée à « Proust du côté de sa mère » m'a incitée à faire connaissance avec Jeanne mais c'est une biographie que j'avais noté depuis un moment à la suite du commentaire de Patricia @palamède que je remercie.

« Toute notre vie n'avait été qu'un entraînement, elle à me passer d'elle pour le jour où elle me quitterait, et cela depuis mon enfance quand elle refusait de revenir dix fois me dire bonsoir avant d'aller en soirée, quand je voyais le train l'emporter, quand elle allait à la campagne, quand plus tard à Fontainebleau et cet été même, je lui téléphonais à chaque heure. Ces anxiétés qui finissaient par quelques mots dits au téléphone ou sa visite à Paris, ou un baiser, avec quelle force je les éprouve maintenant que je sais que rien ne pourra plus les calmer. Et moi de mon côté, je lui persuadais que je pouvais très bien vivre sans elle. »

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