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« Ma vie a désormais perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation » écrivit Marcel. La descente aux enfers durât deux ans avec des rémissions, des rechutes, des crises. Maman en mourant a emporté le petit Marcel, confia-t-il aussi.

Le petit Marcel était bien mort mais il avait donné naissance à l'écrivain. Un Marcel Proust qui passerait le reste de ses jours à élaborer une oeuvre dont sa mère aurait été fière. le plus beau témoignage de sa reconnaissance en est peut-être, tout simplement, la première phrase : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »

Oui, Maman aurait aimé cette phrase.

C'est sur cet épilogue que je referme ce livre les larmes aux yeux. Evelyne Bloch-Dano a écrit un très beau récit sur Jeanne Weil-Proust qui peut être lu par tout un chacun tant c'est fluide, vivant, intéressant, nul besoin de s'être penché sur La Recherche. Elle est présidente du jury du Cercle littéraire proustien de Cabourg-Balbec , c'est dire à quel point, elle est imprégné de son sujet qu'elle sait si bien nous illustrer.

Jeanne est issue d'une famille juive très aisée et parfaitement assimilée, d'origine alsacienne, pénétrée du Siècle des Lumières. Elle a vingt et un ans lorsqu'elle rencontre Adrien Proust de quinze ans son ainé. La famille Proust est originaire d'Illiers en Eure-et-Loir. Madame Virginie Proust tient l'épicerie du centre bourg. Famille modeste, de religion catholique et très pieuse, le grand-père d'Adrien fournissait même les cierges de la paroisse, peut-on imaginer une Weil épouser un descendant d'un marchand de cierges ? Adrien est bel homme. A 36 ans, il est chef de clinique et agrégé de médecine. Il est considéré comme l'un des espoirs français de la médecine et il est libre-penseur. Jeanne sait qu'elle restera fidèle à ses origines, jamais elle ne se convertira. La jeune fille juive et le fils d'épicier s'unissent au seuil d'une bourgeoisie laïque que la Troisième République va porter au pinacle. le mariage a lieu le samedi 3 septembre 1870, le lendemain de la défaite de Sedan. La famille Weil est au grand complet mais aucun des Proust ne sera présent ?

Marcel nait le 10 juillet 1871, après la semaine sanglante, et Robert le 24 mai 1873. On imagine aisément la grossesse de Jeanne pour Marcel étant donné la période. Peu d'écart entre les deux frères dont l'éducation incombera à Jeanne. Comme dans toute fratrie, une certaine rivalité se faufilera dans les rapports entre les deux frères mais leur amour fraternel ne sera jamais altéré.

Les Weil sont très unis, solidaires et fusionnels, il y a énormément d'amour qui circule entre les membres de cette famille comme une abondante correspondance en fait foi. Adrien va s'y intégrer très facilement. L'auteure fait revivre les beaux jours d'Auteuil sous nos yeux. C'est l'oncle Louis qui achète la maison d'Auteuil. La maison bruisse des éclats de voix, du bonheur des retrouvailles, le souvenir des cousins qui courent partout, ça pleure, ça rit. Et c'est ainsi en pénétrant l'intimité de cette famille, rendue si concrète sous la plume d'Evelyne Bloch-Dano, que l'on discerne page après page, l'impact qu'a eu cette parentèle sur l'imaginaire de Marcel dans La Recherche. C'est une très belle promenade que cette biographie. le style de l'auteure suggère aisément les scènes qui se déroulent sous nos yeux notamment les bains de mer de Jeanne, ses séjours en cure où ses garçons vont l'accompagner.

Marcel n'est pas un enfant comme les autres. Doté d'une hyper sensibilité, d'un tempérament anxieux, il ne peut courir, sauter, sans le risque de déclencher une crise d'asthme. Cette maladie lui rend la vie difficile sans parler de la méconnaissance de cette maladie qui ne fait qu'alimenter les angoisses existantes de ses parents. Jeanne a peur, elle ne cesse de prodiguer soins et recommandations à son enfant. Un cercle vertueux qui devient un cercle vicieux, les liens se resserrent, l'angoisse de la séparation se fait plus douloureuse.

Un proverbe touareg dit que la mère préfère le petit tant qu'il n'a pas grandi, l'enfant malade tant qu'il n'a pas guéri et celui qui voyage tant qu'il n'est pas revenu « j'avais toujours quatre ans pour elle » dira Marcel.

Evelyne Bloch-Dano nous éclaire sur cette relation fusionnelle entre Marcel et Jeanne, elle dépeint avec force l'intensité de leur attachement. Mais Jeanne est aussi une femme cultivée, active, que j'ai beaucoup aimé accompagner jusqu'à son décès. Cette biographie est aussi une très jolie carte postale d'une époque disparue malgré les conflits qui ont jalonné cette période. Marcel est présent, on peut le suivre en Normandie, à Cabourg, au Grand Hôtel, à Trouville-sur-Mer, au Père-Lachaise. Lire des passages de ses lettres suscite beaucoup d'émoi comme la présence de ces photographies qui sont annexées au livre. Toute cette jolie construction donne un sentiment d'intimité avec Jeanne et sa famille et contribue à une très belle lecture qui nous les rend tellement proche ; quant à moi, l'émotion ne m'a pas quittée.

L'exposition du musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme consacrée à « Proust du côté de sa mère » m'a incitée à faire connaissance avec Jeanne mais c'est une biographie que j'avais noté depuis un moment à la suite du commentaire de Patricia @palamède que je remercie.

« Toute notre vie n'avait été qu'un entraînement, elle à me passer d'elle pour le jour où elle me quitterait, et cela depuis mon enfance quand elle refusait de revenir dix fois me dire bonsoir avant d'aller en soirée, quand je voyais le train l'emporter, quand elle allait à la campagne, quand plus tard à Fontainebleau et cet été même, je lui téléphonais à chaque heure. Ces anxiétés qui finissaient par quelques mots dits au téléphone ou sa visite à Paris, ou un baiser, avec quelle force je les éprouve maintenant que je sais que rien ne pourra plus les calmer. Et moi de mon côté, je lui persuadais que je pouvais très bien vivre sans elle. »

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En 1870, le mariage de la jeune Jeanne Weil avec le chef de clinique agrégé et catholique de 36 ans, Adrien Proust, est dicté par la raison, parce qu'Adrien apporte un passeport pour la bonne société à Jeanne issue de la bourgeoisie juive, et que la fortune et l'éducation de celle-ci sont idéales pour un médecin ambitieux.

Dès la naissance de Marcel, à Paris en pleine débâcle de la Commune, Jeanne est absorbée par cet enfant fragile et nerveux. Et si par la suite elle ne néglige ni son mari ni son second fils Robert, il se noue avec Marcel des liens indéfectibles, une relation exclusive qui durera toute leur vie.

Femme du monde attachée à sa famille, et maîtresse de maison parfaite, Jeanne est aussi un esprit éclairé. Elle lit beaucoup, pratique plusieurs langues et le piano, plus tard s'implique dans la vie intellectuelle de Marcel, notamment en travaillant avec lui sur la traduction de la Bible d'Amiens de John Ruskin.

Jeanne ne se livrait pas et même si elle écrivait il n'en reste que peu de choses. L'auteure s'est donc souvent appuyée sur les œuvres de Marcel, la Recherche et Jean Santeuil, pour tracer un portrait nuancé et précis d'une femme qui jusqu'à son dernier souffle aimera avec passion et soutiendra son fils, fils qui n'aura de cesse de lui rendre hommage dans une oeuvre exceptionnelle.
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J'ai finalement été très intéressée par ce livre qu'une abonnée de la bibliothèque m'avait chaudement recommandé et que j'avais commencé un peu à reculons, poussée par son enthousiasme. Je ne suis pas une lectrice assidue de Proust, mais j'ai trouvé certains aspects de la biographie que nous livre Evelyne Bloch-Dano très éclairants. L'autrice divise son ouvrage en trois parties correspondant chacune à une époque particulière de la vie de Madame Proust. La biographie commence comme un roman en prêtant des pensées au personnage de Jeanne Weil à propos du médecin déjà très connu qu'elle s'apprête à épouser : Adrien Proust, de 15 ans son aîné. Suivent des considérations sur les motifs de ce mariage « mixte » très révélatrices des mentalités de l'époque. Adrien est un médecin reconnu et respecté, voire célèbre, mais fils d'épicier. Pour sa part, la famille de Jeanne est riche, mais juive. Ce mariage de raison avantage l'un et l'autre des partis. Les deux arbres généalogiques des ascendants paternels (les Weil) et maternels (les Berncastel) de Jeanne se révèlent indispensables pour ne pas se perdre dans les liens familiaux. Un autre arbre explicite la lointaine parenté de Proust avec Karl Marx. On comprend vite que Jeanne Weil est une femme remarquable. Son niveau d'instruction dépasse de loin celui de la plupart des femmes de l'époque (et de beaucoup d'hommes !) : elle parle couramment plusieurs langues, joue du piano avec talent, possède une solide culture littéraire et s'ouvre volontiers aux nouveautés. Bien sûr, la biographie s'attachera particulièrement aux relations de Jeanne avec son fils aîné Marcel et le soutien sans faille qu'elle lui apporte, mais l'autrice développe aussi plusieurs autres personnages de la famille dont l'influence dans l'oeuvre de Proust s'avère évidente. Je me bornerai à citer Adèle, la mère de Jeanne, la grand-mère de Marcel. Les fréquents séjours à Illiers et à Auteuil inspireront Combray, et on les retrouve dans La Recherche et dans Jean Santeuil. Pour Jeanne, la vie quotidienne à Illiers n'est pas une partie de plaisir. Elle s'y sent isolée et s'estime tenue de fréquenter l'église… Plus tard, l'éducation de Marcel, son asthme et ses pratiques particulières causeront beaucoup d'inquiétude au docteur Proust qui tentera d'y remédier par les moyens en vogue à l'époque, sans beaucoup de succès. Les nombreuses anecdotes qui renvoient à l'oeuvre de Proust permettent un éclairage totalement nouveau pour moi, et la relation fusionnelle entre Jeanne et Marcel revient comme un motif qui prend tout son sens dans les détails de la biographie tout en éclairant l'oeuvre.
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Cet essai biographique possède un double intérêt: très bien documenté et solidement construit, il est remarquablement écrit.
Ses qualités littéraires le rendent digne du monument qu'est l'oeuvre de Proust, car l'auteur ne craint pas de commenter dans un style parfait les scènes les plus célèbres de la Recherche, à travers le regard de Jeanne, la mère de Marcel Proust.
Ce personnage, considérable dans la vie et la destinée littéraire de Proust, fut d'abord une jeune fille extrêmement instruite, qui ne fut pas simplement "engraissée comme une oie en vue du mariage".
Parlant couramment l'anglais et l'allemand, elle savait le latin et jouait , ainsi que sa propre mère, extrèmement bien du piano. Fille respectueuse et aimante d'un patriarche juif, elle accepta l'union , proposée par celui-ci, à un non-juif, sans fortune, mais sommité médicale de l'époque, et capable de lui ouvrir les portes de la haute société, la mettant ainsi à l'abri des infortunes, des vicissitudes d'une époque troublée, et enfin de l'ostracisme encore manifesté vis à vis des juifs.
Bien qu'appartenant à la grande bourgeoisie juive , Jeanne Weil ne pouvait en effet prétendre fréquenter la plus haute société sans être introduite par une célébrité du monde des gentils, qu'elle soit scientifique, artistique, ou politique. Le couple Weil-Proust était un "ticket gagnant": l'un possèdant le prestige moral et honorifique, l'autre la fortune lui permettant de mener un train de vie élévé et de recevoir les plus hauts personnages de l'époque.
Jeanne Proust eut deux garçons, dont l'aîné Marcel, né juste après le siège de 70 et la répression de la Commune, lui inspira dès la naissance les plus fortes inquiétudes, de par sa fragilité et son émotivité. Aussi lui consacra-t-elle sûrement beaucoup plus de son attention qu'au jeune Robert, qui dut se développer à l'inverse, en manifestant tôt une nature forte et sûre d'elle-même. Ainsi juste avant un retour de vacances, séparé d'un agneau qui lui tenait lieu de compagnon, le jeune Robert cite d'abord un auteur classique (à 5 ans!) puis éclate en une colère clastique, cassant ses jouets et déchirant ses vêtements, tout en défiant son père qui, tout de même, lui a administré deux gifles pour mettre fin à cette scène ! On a là un autre caractère et les deux garçons, s'ils s'entendirent toujours bien, n'étaient certes pas semblables. L'auteur insiste beaucoup sur la relation fusionnelle entre Marcel et Jeanne, et rappelle que Jeanne et sa propre mère furent aussi dans une très grande proximité affective toute leur vie.
Les conséquences de ces liens très forts sont finement analysés, parfois à travers un lapsus de Proust écrivant à sa mère, parfois à travers le récit qui est fait d'une même scène dans Jean Santeuil, Les plaisirs et les jours, ou la Recherche.
Par contraste, la figure d'Adrien Proust est en retrait, ou plutôt extérieure au drame qui se constitue quand il s'avère que Marcel est doublement malade: malade nerveusement, d'où son apparente incapacité, enfant, à se séparer de sa mère, et malade de ses "étouffements", soit de son athsme dont la première crise se déclenche après une longue promenade sous les marronniers en fleurs.
La célèbre scène du coucher où Adrien Proust renonce à guider son fils vers le chemin de l'autonomie, en suggérant à sa femme de dormir dans la chambre de Marcel, est commentée par lla biographe en rapprochant à juste titre cet épisode du thème de François le Champi.
Ce livre que Jeanne lira ce soir-là à son fils est l'histoire d'une relation incestueuse entre un garçon et sa mère adoptive.
Pour Proust, le plus grand malheur qu'il puisse imaginer était d'être séparé de sa mère.
Le portrait tout en finesse fait par Evelyne Bloch-Dano nous montre à l'évidence que dans la vie comme en littérature, ces deux êtres furent et demeurent inséparables.
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Une biographie de Jeanne Weil-Proust, la maman de Marcel. En arrière plan, au début de l'essai, l'émancipation des Juifs français à la Révolution au décret Crémieux ( Adolphe Crémieux appartient à la famille de Jeanne), leur intégration à la société remise en cause de temps à autres par l'antisémitisme, véritable idéologie fin XIXème siècle, par l'Affaire Dreyfus.
Peinture de la haute bourgeoisie du XIXème siècle, de la place des femmes, de l'éducation, du milieu politique et intellectuel, des mondanités, des quartiers de Paris, des bains de mer de la haute société.
Jeanne Weil, femme juive très cultivée et riche, épouse le Dr Proust, catholique qui fera une brillante carrière. Elle sera une parfaite maîtresse de maison sans aucun esprit de sacrifice. Elle aura deux enfants dont Marcel avec qui elle entretiendra un rapport fusionnel et une correspondance en grande partie perdue. Sa santé fragile, sa vie déréglée ( homosexualité, horaires décalés, frivolité, incapacité à avoir une vie professionnelle stable) l'inquiètent mais n'altère en rien son amour.
A la fin de sa vie, elle aide Marcel Proust à traduire Ruskin.
Une biographie-essai passionnants autant pour le portrait d'une femme exceptionnelle mais discrète que par la peinture d'une époque et d'une société que décrira Marcel Proust. Sa mère ne verra jamais le succès littéraire de son fils.
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Madame Proust, née Jeanne Weil, est sans aucun doute la personne qui aura le plus compté dans la vie de Marcel Proust. le livre que lui consacre Evelyne Bloch-Dano (également biographe de George Sand et de Mme Zola) est remarquable par les éclairages qu'il apporte sur la famille de Proust mais aussi sur l'enfance de l'écrivain, sa formation morale, artistique, intellectuelle à laquelle sa maman a amplement participé, et sur le milieu dans lequel évoluait cette famille, haute bourgeoisie côtoyant aussi bien l'aristocratie que les cercles politiques républicains (Zola, Faure, Crémieux, ...) ou les élites artistiques (les Bizet, Daudet, George Sand, Mallarmé ...), tout cela fournissant les modèles des personnages de la Recherche.

Evelyne Bloch-Dano s'emploie longuement au début de l'ouvrage (mais très utilement à mon avis) à nous décrire les familles des deux parents de Marcel. Celle de Jeanne est une famille juive originaire d'Alsace et au delà de l'Allemagne (j'ai appris ainsi que Proust et Karl Marx sont cousins au 5ème degré) qui a bénéficié du décret promulgué par la Révolution française en 1791 accordant aux juifs de France la citoyenneté française et qui a peu à peu gagné pignon sur rue, notamment dans la fabrication de la porcelaine. A la génération de Jeanne, les Weil sont devenus des bourgeois très aisés mais ils ne sont pas encore acceptés dans les salons les plus huppés de la monarchie de Juillet ou du IIIe empire.

Adrien Proust, le père de Marcel et de son frère cadet Robert, est lui issu d'une famille catholique très modeste, installée dans la petite ville d'Illiers qui deviendra "Combray" dans la Recherche. Brillant élève, boursier, Adrien devient médecin et professeur à la chaire d'hygiène à la faculté de médecine de Paris. Il devient vite une des sommités de son art, publie des ouvrages très réputés, est reçu par d'éminents personnages dans de nombreux pays.

Le mariage de Jeanne et d'Adrien, en associant la notoriété du Dr Proust et la fortune ainsi que l'art des relations mondaines que possède sa femme, éprise de littérature, de musique et de beaux-arts, propulsera le couple parmi la haute société de l'époque. Mais, pour autant, tout ne fut pas simple pour le couple, et en premier lieu la naissance de Marcel, juste après la "semaine sanglante" de la Commune de Paris (Marcel a bien failli ne pas venir au monde), puis l'enfance souffreteuse de Marcel et son hypersensibilité.

Outre l'intérêt sociologique évident, par l'éclairage qu'apporte le livre à certains passages de la Recherche (le salon des Verdurin, le personnage de la "cocotte" Odette de Crécy, ...), c'est avant tout ce qui concerne le rapport entre Jeanne et Marcel (duo auquel il faut aussi adjoindre le jeune frère Robert) qui rend le livre vraiment passionnant. Evelyne Bloch-Dano nous conduit patiemment à travers l'écheveau de fils qui s'est noué entre la mère et son fils, mêlant amour, maladie, soins, éducation, autorité, chantage, émancipation, sexualité, déviance, fidélité, excès, tempérance... Et tout cela se joue, se dénoue, se rejoue, s'amplifie à travers la correspondance qu'ils s'échangent quotidiennement dès qu'ils sont éloignés géographiquement l'un de l'autre. Car, en pensée, ils ne seront jamais séparés, si ce n'est par le sommeil, et l'on sait à quel point le moment du coucher est une torture, aussi bien pour Marcel que pour le narrateur de "Du côté de chez Swann". C'est donc sans étonnement que l'on apprend que la correspondance entre Mme de Sévigné et sa fille, la comtesse de Grignan est l'oeuvre littéraire de prédilection de Jeanne.

Mille autres choses sont à lire dans cet ouvrage d'une grande finesse, très agréable à lire et qui peut intéresser aussi bien les familiers de l'oeuvre proustienne que ceux qui espèrent en découvrir un jour tous les charmes.
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« Être séparé de maman » fut la réponse de Marcel Proust à l'une des questions du célèbre questionnaire devenu mythique.

Avec ce livre, Évelyne Bloch-Dano nous fait pénétrer dans l'intimité de Marcel Proust et dans celle de sa mère, Jeanne Proust.

Une enfant, une jeune fille, une femme, une épouse, une mère : les années se parcourent en une étude précise, sociologique et passionnante et aident à comprendre ce qui la construisit.

Des lieux, des maisons, des quartiers, un monde bourgeois, l'assimilation des juifs alsaciens émigrés à Paris, la religion dont on s'éloigne, des traditions qui demeurent, un milieu où l'intellectualisme domine.

Puis cette relation entre une mère et un fils souffrant, à part.
Une relation qui forme l'esprit, veut le meilleur, aide sans relâche et dans le quotidien et dans l'ambition littéraire.

Un père souvent absent, déléguant l'éducation à l'épouse, un frère tellement différent mais aimé, des rencontres, des mondanités, des cures où l'esprit de la conversation nourrit les heures creuses.

Un amour qui se dit quotidiennement.
Jeanne Proust, intelligente, volontaire, cultivée, consciente de ses tâches et d'épouse, et de maîtresse de maison, et de mère, a continuellement été présente auprès de Marcel, n'ignorant pas les chemins qu'il empruntait.
Elle ne vit pas l'oeuvre grandiose de son fils mais elle sut, perçut, ressentit toute la fragilité, l'extrême sensibilité qui en faisait un être hors du commun des mortels.
Des moments de bonheur lors de la traduction de l'oeuvre de Ruskin et la mise en page par Marcel, un travail en duo, du bonheur… et de l'intransigeance chez le fils.

Le livre est riche de sentiments, de découvertes sur une société, ses moeurs et ses codes.
Cet essai retrace l'époque, les avancements (le Docteur Proust et l'hygiène), les amitiés d'un milieu (les Faure…), les luttes (L'Affaire Dreyfus), la place du juif dans la société française (différence entre juif et israélite).
Des lieux qui se mélangent (Illiers, Auteuil…), des êtres qui fusionnent… le tout se retrouvant dans la Recherche et particulièrement dans Jean Santeuil, roman inachevé.

Richesse époustouflante de cet essai accompagné d'arbres généalogiques et d'une bibliographie dans laquelle l'amateur proustien peut puiser pour continuer sa … recherche.
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Pour qui veut entrer dans l'oeuvre de Marcel Proust, ce livre constitue une introduction parfaite.
Comment comprendre cet homme sans connaitre ses relations fusionnelles avec cette mère.

C'est avec talent, précision et finesse qu'Evelyne Bloch-Dano nous retrace l'existence de cette Madame Proust, la seule.
De ses ancêtres à son décès, l'ouvrage retrace la vie de cette femme cultivée, intelligente et aimante. A travers elle, c'est aussi la découverte de cette haute bourgeoisie juive française issue de l'immigration des pays de l'Est et qui, à force de travail, s'est hissée aux plus hautes fonctions de la finance, de la politique, des affaires. le cas de Jeanne Proust est aussi intéressant puisque juive, elle est mariée à un français, rompant la traditionnelle endogamie.

On perçoit la difficulté et l'intelligence de son rôle de mère dans l'éducation délicate du jeune Marcel, sa compréhension de sa « différence », si ce n'est de son génie et l'accompagnement de ses débuts maladroits d'écrivain. Instinctivement, elle protège et défend le plus faible de ses deux fils non sans tenter de lutter contre ses « déviances ».
Adrien Proust, le père, s'efface naturellement devant des fonctions dévolues aux femmes.
Un livre fort bien écrit, d'une très belle intelligence psychologique si ce n'est psychanalytique et qui fut justement récompensé.
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Des personnages se détachent de la Recherche.
Comme dans un jeu des sept familles je demande la mère, bonne pioche pour moi d'avoir lu le livre d'Evelyne Bloch-Dano.
Il était sur mon Ipad depuis quelques semaines mais je ne sentais aucune urgence, à écouter Antoine Compagnon et son été avec Proust c'est devenu une envie forte.

C'est une biographie de la mère de l'écrivain qui se lit pftt comme un roman.
Jeanne Weil nait en 1849 dans une famille juive de a haute bourgeoisie parisienne mais cette biographie nous fait découvrir une foule de personnages qui vont graviter autour d'elle.
Une famille tenant le haut du pavé parmi les familles de la grande bourgeoisie juive, un père décoré de la Légion d'honneur, un oncle ministre.
Dans la famille c'est la première à se marier hors de la communauté, son père voyait là l'occasion de renforcer leur intégration à la bonne société de l'époque, Adrien Proust était déjà un médecin respecté et tenait une place enviable dans le système de santé de l'époque.
Epouser un catholique c'était franchir un échelon de plus vers l'assimilation sans jamais renier ses origines et par exemple sans jamais se convertir.
C'est un portrait très attachant que brode Evelyne Bloch-Dano, Jeanne Proust est une bourgeoise cultivée, soucieuse en permanence d'être une épouse irréprochable qui sert les intérêts de son mari. Elle reçoit le tout Paris à la fois artistique et scientifique.
Voilà pour l'aspect mondain de Jeanne Proust, maintenant l'autre facette c'est cette relation unique avec un de ses fils qui ne prendra fin qu'à son décès.
Jeanne Proust fut une mère très attentive à la grande émotivité de Marcel, elle tâcha à la fois de le réconforter et de l'aguerrir mais en vain. Plus tard elle admis ses penchants sans jamais pourtant être capable d'en parler avec lui, le carcan moral est encore bien présent.

Cette amour fusionnel est largement décrit et commenté par Evelyne Bloch-Dano et elle ne cache rien des heurts qui parfois découlèrent de cette relation, heurts avec le père ou le frère.

Ardente dreyfusarde Jeanne eut là le courage de tenir tête à son époux qui par ailleurs ne dédaignait pas les petites demoiselles de l'Opéra.
Les débuts littéraires de Marcel lui doivent beaucoup. C'est une femme cultivée qui lit énormément, qui admire et sans doute se retrouve dans Mme de Sévigné. Elle a également un passion pour la musique. Sa connaissance de l'anglais lui permit d'assurer avec son fils la traduction de Ruskin qui le fit connaître dans le monde littéraire.
L'auteur ajoute un cahier photographique pour compléter cette biographie de la Maman du petit Marcel …….
Elle ne vit jamais la revanche éclatante que son fils pris et ne connut jamais l'hommage magnifique que son fils lui rendit à travers son oeuvre.
Les passages dans la Recherche du Temps Perdu concernant la mère sont parmi les plus mémorables du roman.

Une belle biographie qui obtint le Prix Renaudot de l'essai et que j'invite les amateurs de Proust à mettre dans leur bibliothèque


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Madame Proust revient largement sur la relation de Marcel avec sa mère. Une relation fusionnelle et ambigüe, qui sera au coeur de la vie Marcel, jusqu'à sa mort.
L'oeuvre entière de l'écrivain y fait référence, sa vie personnelle est fortement empreinte de la figure maternelle omniprésente.
Même lorsqu'il tente de prendre ses distances, son aura plane toujours au-dessus de lui.
Découvrir Jeanne Proust, c'est également se plonger dans la bourgeoisie de la fin XIXème siècle et dans l'univers culturel d'alors. Madame Proust étant d'origine juive, impossible de ne pas évoquer l'antisémitisme régnant et l'affaire Dreyfus.
Cet ouvrage biographique se lit comme un roman documentaire, très détaillé et précis. L'intérêt de cet essai réside également dans la compréhension de l'oeuvre de Marcel, fortement influencée par sa maman.
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