Il aurait préféré être giflé, battu. Tout, plutôt que cette rage froide qui perçait sous les paroles de son père. Des leçons particulières ! Les regards narquois de la bonne femme ! Les allusions moqueuses des copains ! Quelque chose comme la fin d’un règne. Le déshonneur. La capitulation.
Quand on fait des erreurs, il faut savoir réparer.
Trente ans de métier avaient développé en lui un instinct tout semblable à celui des vieux marins qui sentent venir de loin le gros temps.
Elle n'opposerait sans doute aucune résistance. Elle était bien trop menue. Mais Lucien éprouvait comme un malaise à la pensée qu'il devrait la toucher. Elle était "le prof", c'est-à-dire quelqu'un sur qui il est interdit de porter la main. Pourquoi ? Lucien n'en savait rien, mais il sentait confusément que ce serait cela le plus dur. Peut-être le plus impardonnable. Comme si, entre l'enfantillage et la délinquance, il n'y avait eu à renverser qu'une mince et pourtant formidable barrière.
La greluche, au fond, c’était quoi ? Un prof ! Le symbole d’une autorité, d’une contrainte. Un mannequin qu’il était amusant de bousculer ! Mais, quand il lui avait saisi les jambes…
À mon âge, quand on perd une femme, on perd en même temps ce qui vous reste de jeunesse.
Quand on est affligé d’un imbécile de ton acabit, on s’excuse.
C’était si agréable de rêver qu’on tenait sous clef l’ennemie détestée ! Même si le projet ne devait jamais aboutir, il suggérait tant d’images plaisantes qu’on se sentait déjà à demi vengé. Le temps viendrait où l’on se dirait, avec Hervé : « Tu te rappelles quand on a failli kidnapper la greluche ? Ce qu’on pouvait être gonflés, quand même ! »
Un coup à aller en tôle, ni plus ni moins. Mais peut-être un coup plus facile à réaliser qu’il ne le croyait. Après tout, les journaux étaient pleins d’histoires d’enlèvement et aucune ne ratait, du moins au début. Après, oui, il y avait souvent des complications, mais pourquoi ? Parce que les agresseurs exigeaient une rançon. Et puis, surtout, parce qu’ils s’attaquaient à des personnages importants. Et puis, aussi, parce que les victimes étaient séquestrées longtemps, ce qui permettait aux policiers de déployer un énorme dispositif. Mais dans le cas d’un petit bout de femme insignifiant et sans défense ? Si elle disparaissait pendant deux ou trois jours, au début d’un congé scolaire, qui s’en apercevrait ? On ne pourrait même pas parler de disparition. Il s’agirait tout juste d’une espèce d’éclipse, d’une absence pour des raisons privées.
Cessez de vous croire responsable du monde. Vous êtes partiellement responsable de vous, et c’est suffisant… Je me fous en totalité de pouvoir ou non faire partager mon point de vue aux autres… Je hais mes études, parce qu’il y a trop d’imbéciles qui savent lire… Un homme digne de ce nom ne fuit jamais. Fuir, c’est bon pour un robinet…
Boris Vian.