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Citations sur Avant l'aube (10)

J’ai récupéré la 404 rue de la Roquette. Sur le trottoir, devant le passage du Cheval-Blanc, un vendeur de marrons grillés interpellait les passants à la cantonade. Assis à côté de lui, un clochard se chauffait les mains au brasero. Je suis rentré aux Batignolles. J’ai mangé une omelette jambon-fromage chez Baptiste, que j’ai dégustée avec un pichet de poulsard bien frais. Parmi les rares clients, quelques jeunes qui discutaient politique sur un ton enfiévré. J’ai fait la fermeture et suis rentré chez moi.
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Comme l’animal qui a la prescience de sa mort prochaine, j’ai senti, tandis que je traversais les nuages de fumée noire, épaisse et grasse, une piqûre douloureuse, cruelle. Un truc qui vous tétanise quelques secondes.
Je courais vers le pavillon de chasse, l’index collé au pontet du pistolet-mitrailleur. Je ne l’ai pas entendu arriver dans mon dos, l’autre pourri, avec son Rr 51. Ce n’est pas l’arme la plus fiable de la police française, mais il a suffi d’une balle de 7,5 mm pour me briser les reins. Et maintenant, étalé dans la pièce, par terre, comme un trophée, je ris alors que le sang s’échappe à gros bouillons de mon dos, s’épanche sous mes jambes en petites flaques sur les dalles en grès qui, tout à l’heure l’auront bu.
La douceur est incroyable en ce matin d’hiver. Dehors, le branchage noir qui s’agite à la cime du grand tilleul filtre les rayons du soleil, tresse des couronnes d’ombres sur les murs. C’est une journée qui s’annonce clémente, comme on dit. J’aurais dû profiter de ces petits matins brumeux, suivis d’éclaircies fugitives, inattendues, pendant lesquelles les rares feuilles des arbres prennent toutes leurs teintes, s’accrochent encore aux branches, avant de disparaître dans la grisaille. Oui, j’aurais dû profiter des bannières matinales de l’hiver, avant le grand plongeon dans les ténèbres.
J’aurais dû.
Me voici ramené à la loi des ombres, à ce temps qui n’en finit pas de finir.
Ni tout à fait vivant, ni tout à fait mort.
Je ris.
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Les citations dans mon travail sont comme des brigands sur la route, qui surgissent tout armés et dépouillent le flâneur de sa conviction. (Walter Benjamin, « Sens unique », 1928, trad. Jean Lacoste)
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La guerre, je l’avais faite un peu par hasard, les circonstances ayant dicté ma conduite bien plus qu’une quelconque prédisposition au courage. Un frère aîné réfractaire au STO qui avait pris le maquis et que je ravitaillais de temps en temps. Puis un jour de janvier 1944, à dix-sept ans, j’avais pris la décision de le rejoindre, lui et ses copains. Instruction et entraînement au camp des Aulnottes, dans la froideur des nuits d’hiver. Sabotages, embuscades, opérations de harcèlement. Et ensuite mon affectation dans une SAP. Six mois d’une vie clandestine passée dans les forêts, comme dans un éternel présent, d’une vie qui s’était éprouvée en chaque point de mon être. Jusqu’à la blessure, à la fin de l’été. C’est pendant ma convalescence à l’hôpital d’Orléans, vers la mi-novembre, que j’ai appris la mort d’André, mon frère, tué par un tireur isolé dans les faubourgs de Strasbourg. Ce frère adulé qui avait rejoint le 81e RI pour « continuer le combat ». J’ai promis à ma mère, pétrie de chagrin, de reprendre le chemin du lycée. J’étais devenu sérieux à dix-sept ans. C’est sans doute pour cela que je suis flic.
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Je n’ai pas eu le courage de rentrer directement chez moi le soir du jour où nous avons trouvé le corps sur la Petite Ceinture. J’ai fait une halte chez Baptiste, où j’ai enquillé un nombre important de verres de bourgogne aligoté. Baptiste restait debout derrière son comptoir, le torchon à carreaux sur l’épaule, le visage cerclé par les arabesques de sa gauloise, le regard dans le vide – qui savait ce que cet œil regardait ?J’ai bu et fumé mes gitanes en écoutant les conversations autour de moi. Pas mal de gens du quartier. Quelques étudiants aussi, égarés autour de la place de Clichy. Je les ai écoutés parler sans rien comprendre à ce qu’ils racontaient. De temps en temps, un mot ou un nom propre – « surdétermination », « Godard » – sortaient de leurs conversations, créaient une petite polémique. Les autres, les gens de peu, les regardaient, étonnés, tandis que je fixais sur la table en hêtre les traces circulaires des verres sur le bois laqué. Après avoir bu tellement de blanc que je ne savais plus si je rêvais, je suis rentré chez moi en titubant. Je suis passé devant le square des Batignolles. Une fosse où furent ensevelis les cadavres des fédérés. La montée des six étages a été difficile et je me suis assoupi une petite heure sur un palier quelconque. J’ai fini par ouvrir la porte d’entrée, Duke m’a sauté dessus et je l’ai nourri. Je me suis installé sur le lit et j’ai regardé la photographie de Jeanne sur la table de nuit. J’ai pensé à Charlotte Saint-Aunix. Puis à d’autres photographies, celles que le labo nous avait envoyées en fin d’après-midi. La poupée démantibulée. Le fantôme sanglant inscrit sur la pellicule. Retrouvé à moins de un kilomètre de chez moi, à vol d’oiseau.Fantômes de fantômes.Je les ai suivis comme on suit une corde raide. Tombée comme un souvenir, où grimper entre deux moments de temps disjoints ensemble.Je me suis levé pour aller vomir dans les toilettes. J’ai passé de l’eau froide sur mon visage qui se reflétait dans le miroir tacheté accroché au mur. J’ai ouvert la mansarde et le froid de la nuit s’est posé sur ma nuque. J’ai mis sur la platine un disque de Chet Baker, un enregistrement public d’un concert donné à Florence le 24 janvier 1956 avec Jean-Louis Chautemps au saxophone ténor et, d’un seul coup, c’est allé mieux. Très précisément avec You don’t know what love is que je me suis mis à chantonner entre deux bouffées de gitane. « You don’t know what love is. ’Til you’ve learned the meaning of the blues. Until you’ve loved a love you’ve had to lose. You don’t know what love is. »
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On a fini nos verres et j'ai emmené Charlotte au Chat qui pêche...C'était là que j'avais vu pour la première fois Miles. Et aussi Lester Young et Bud Powell.
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Je finissais parfois la soirée dans le caboulot en bas de chez moi, tenu par Baptiste, un limonadier taciturne qui boitait ; une rafale de Schmeisser dans la cuisse, prise dans les Flandres en 1940. J’aimais bien ce rade. Baptiste y déambulait, claudicant, le torchon à carreaux sur l’épaule. Il venait prendre les commandes, clignait ses yeux tristes, hochait la tête et retournait derrière son comptoir sans jamais rien dire. Renfermé, le regard sombre, en fumant ses gauloises. Il avait fait l’acquisition du bistrot après son long séjour en stalag, où sa blessure avait été mal soignée. Mais on sentait bien qu’autre chose l’avait meurtri : la faim, le froid. Le frôlement, le frottement continuel de l’homme contre l’homme. Captif des captifs. Quand il l’avait acheté à un vieux bougnat, le bistrot n’avait pas de nom. Il en était resté là. C’était mieux comme ça. Il faut un peu laisser les choses sans nom.
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L’année 1966 tirait à sa fin. En Chine, Mao ne voulait plus la gentillesse, mais la guerre. Walt Disney était mort. Quelques étudiants s’excitaient du côté de Strasbourg, provoquant un énorme scandale. De Gaulle avait poliment demandé aux Américains de plier bagage, faisant plonger le Berry dans la déréliction. Les gens découvraient la mode anglaise, la Renault 8 Gordini, le stylo-bille et La Vache qui rit. Je regardais tout cela de très loin, comme derrière un verre voilé. J’avais consumé ma quarantième année dans le feu et le sang. J’avais tiré sur des ombres d’hommes. Il pleuvait quasiment tous les jours et les arbres accrochaient des haillons de nuages flasques dans leurs branches fluettes. Le monde, ses contours imparfaits, flottait, se reflétant dans un miroir dépoli à l’acide. Les feuilles mortes jonchaient les trottoirs, macéraient dans l’eau. Tout l’automne à la fin n’était plus qu’une tisane froide.L’hiver nous a surpris un jour de décembre. La température a chuté brusquement – au-dessous des normales saisonnières, comme ils disent à la radio. Une fin d’après-midi, en sortant du Quai des Orfèvres, Le Varech, Baynac et moi, nous avons été cernés par le drap humide des premiers frimas. En contrebas, la Seine, plus sombre encore que le ciel, avait disparu sous les nuées. De temps en temps, les yeux d’un bateau-mouche vacillaient dans la brume. Ronronnement du moteur, chuintement sourd de l’embarcation qui glissait sur l’eau. Nous avons levé les yeux. De minuscules flocons de neige dansaient dans la lumière des réverbères. Plus haut, les toits de Paris peignaient leur gris sur gris. Soudain, la figure de la vie était devenue vieille. Le Varech a remonté le col de son pardessus et a tiré longuement sur sa cigarette roulée. Baynac a murmuré : « C’est la saison, c’est la saison, adieu vendanges !… »J’ai frissonné.
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Me voici ramené à la loi des ombres, à ce temps qui n’en finit pas de finir, à cette époque de mensonge vital, de mensonge devenu vrai.
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La question n'est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement ; mais toujours d'une manière qui leur échappe.
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