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Critique de Patlancien


Bianca et son frère perdent brutalement leurs deux parents dans un accident de voiture en Italie. Ils se retrouvent seuls tous les deux dans l'ancien appartement familial avec la pension de décès de leur père comme unique moyen de subsistance. Ils tentent de poursuivre leur étude mais bien vite la nécessité d'un job d'appoint se fait sentir. le travail prend le dessus sur le lycée, Elle devient laveuse de cheveux dans un salon de coiffure et lui laveur de sueur dans un club de culturisme.

C'est dur de perdre ses deux parents à 18 ans, j'en ai fait aussi cette triste expérience la première fois à 23 ans et la seconde fois à 28 ans. le deuil te fait perdre toute notion de temps et provoque en toi une brûlure de l'âme qui se traduit par une lumière intense qui vient frapper ta rétine provoquant un éblouissement permanent. Tu ne fais plus la différence entre le jour et la nuit. Tu te retrouves dans un décor surexposé à la lumière où la balance des blancs a été complètement dérèglée.

« À partir de ce moment-là, les journées ont changé. Je veux dire, le cours des journées. Je veux dire, ce qui unit et en même temps marque la frontière entre un jour et l'autre. D'un coup, la nuit a cessé d'exister et il n'y a plus eu que soleil et lumière, sans interruption. Au début, j'ai pensé que c'était dû à la fatigue, au choc produit par la disparition soudaine de nos parents, mais lorsque j'en ai parlé à mon frère, il m'a répondu que la même chose lui arrivait. Soleil et lumière et explosion de fenêtres ».
« Je penchais à la fenêtre et regardais la rue avec ses deux rangées de voitures encore garées de chaque côté, et je ne pouvais pas croire que cette incandescence soit la nuit. Ça revenait au même de fermer les yeux ou de les garder ouverts ».

Tu vis dans un mode où le réel et l'irréel se mêlent et s'entrelacent au point de ne plus faire qu'un. Dans cet univers hyper blanc qui voudrait atténuer la noirceur de ta vie, tu demandes ma chère Bianca (Blanche en français et je n'invente rien) si tu ne vas pas devenir folle. Eh bien, tu n'es pas folle, tu n'es pas une délinquante ni une pute. Tu es simplement une jeune fille qui a perdu ses repères et qui veut se débarrasser simplement de cette douleur qu'on appelle le deuil. Comme tu le dis aussi, tu es « comme ces petits oiseaux perdus dans la tempête et qui n'intéressent plus personne ».

« Parfois, je voyais toute ma vie en négatif : une maison plus grande, dans un autre quartier, des enfants, un meilleur travail, des années, la vieillesse, un petit-fils, la mort dans un hôpital public ou couverte par un drap dans le lit de mes parents, un lit dont j'aurais aimé entendre les grincements, des grincements pareils à ceux d'un transatlantique au moment de couler, mais qui, au contraire, était silencieux comme un cercueil ».

Et puis, il y a ton frère qui arrive un soir avec deux amis rencontrés à la salle de culturisme. Il les invite à rester à demeure dans ton appartement. Ils vont désormais vivre avec toi. Comme des fantômes, des personnages sans visages, sans nom, sans histoires, ils sont uniquement là pour essayer d'exister, de surnager, de tenir. Oui je sais qu'ils te font peur ma petite Bianca et que tu cherches à les éviter, à les ignorer.

« Je crois que, pendant quelques jours, j'ai vécu comme sur la pointe des pieds. J'allais de la maison au travail et du travail à la maison, en essayant de ne pas attirer l'attention, et le soir, je regardais la télévision, pas trop, parce que mon intérêt pour les émissions qu'avant j'avais l'habitude de suivre avait commencé à décliner peu à peu ».

Et à force de se tenir à coté de toi, de manger avec toi, Ils vont vouloir coucher avec toi…

« Cette nuit-là, j'ai fait de nouveau l'amour avec l'un des amis de mon frère et la nuit suivante et celle qui a suivi cette nuit aussi, et toutes les nuits de cette semaine, et la semaine qui a suivi, jusqu'à ce que sur mon visage commence à se voir que je faisais l'amour toutes les nuits ou que je dormais peu, au point que mes collègues de travail m'ont demandé ce qu'il m'arrivait, si j'étais malade, ou quoi ».

Et quand on connait comme toi l'amour physique avant de vivre un amour sentimental, quand on perd sa virginité comme on perd ses parents aussi brutalement que toi, on offre son corps pour combler un vide immense car l'absence fait mal à crever. Et puis un jour, ils te demandent de coucher avec un vieil acteur aveugle de séries B pour lui soutirer du fric pour enfin s'assurer un avenir comme ils disent. Et toi qui vis dans le blanc tu vas connaitre la noirceur de Maciste. Tout est noir et sombre chez lui, sa maison, sa vie, tout ce qui sort de lui … Et c'est peut-être ton passage obligé, ton parcours initiatique, ta recherche du Saint Graal pour connaitre ta rédemption. Pour que tu deviennes alors une mère et une femme mariée.

« Rendre visite à Maciste, c'était penser au futur, transpirer, entrer dans des pièces où l'obscurité était totale, c'était penser au futur. Un futur qui ressemblait à n'importe quelle pièce de la maison de Maciste, mais plus lumineuse, avec des meubles recouverts de vieux draps de lit ou de couvertures, comme si les propriétaires de la maison (une maison qui se trouvait dans le futur) étaient partis en voyage et n'avaient pas voulu que la poussière s'accumule sur les choses. Et c'était ça mon futur, et c'est comme ça que j'y pensais, si on peut appeler ça penser (et si on peut appeler ça futur) ».

D'un simple fait divers, Roberto Bolano aurait pu nous plonger dans le mélodrame habituel des orphelins livrés à eux seuls, il aurait pu également nous tirer les larmes habituelles que l'on éprouve dans ce genre de situation avec à la fin soit un bonheur retrouvé ou pire une fin plus pathétique. Il n'en n'est rien, l'auteur chilien dans son dernier roman publié avant sa mort (eh oui j'ai commencé mon apprentissage avec son dernier ouvrage) nous offre avec l'innocence brute de ses deux protagonistes, une histoire où il n'y aura pas de pitié, pas de culpabilité et encore moins de regrets. Tout son art se trouve dans cette façon qu'il a de nous montrer sans fioriture mais sans vulgarité les états d'âme, les réactions de ses personnages livrés à eux seuls. Sa prose est limpide et coule de source. On la lit sans voyeurisme et sans dégout. Et on finit même par l'aimer si on s'y prend lentement pour lire ses 94 pages.

Merci à Gaëlle et à Sandrine de m'avoir fait découvrir « Un petit roman lumpen ». Leur magnifique critique à toutes les deux y a été pour beaucoup !!! Je m'en suis aussi inspiré qu'elles m'en excusent. J'espère avoir à mon tour apporté une petite pierre à cette lecture commune.

« Il pleut sur Santiago » Film de Helvio Soto (1975)
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