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Critique de kielosa



"Ce récit ne sera guère joyeux, il est difficile de le rendre distrayant" nous prévient, déjà à la page 14 de son oeuvre, l'auteure, Elena Bonner (1923-2011). Et elle n'a bien sûr pas tort : c'est une descente en enfer. Presque pire que celle de Dante. Il s'agit de son exil partagé avec son 2e mari, le génial scientifique et Prix Nobel de la paix en 1975, Andreï Sakharov (1921-1989), à Nijni Novgorod, appelée Gorki de 1932 à 1991.

Son témoignage vaut la peine d'être lu pour voir jusqu'où un régime politique pourri peut aller pour rendre la vie impossible à même ses ressortissants les plus brillants. de nos jours ce n'est plus aussi manifeste, bien que de temps en temps on puisse constater que Poutine a été à bonne école. Il n'a jamais caché son admiration pour l'ancien maître du Kremlin et patron du KGB, Iouri Andropov, qui déclara en 1983 à des sénateurs américains que Sakharov était fou !

Elena Bonner, de père arménien et mère juive, était pédiatre de formation. D'un premier mariage avec son camarade d'études à la faculté de médecine de l'université de Leningrad, Ivan Semenov, elle a eu 2 enfants : Tatiana née en 1950 et Alekseï né en 1956. C'est en 1971 qu'elle épousa Sakharov.

Andreï Sakharov, docteur en physique, est transféré par le boss du KGB, Lavrenti Beria, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée.... de la bombe atomique. C'est ainsi, qu'en 1953 l'année de la mort de Staline, il deviendra "le père de la bombe à hydrogène soviétique". Mais c'est le même homme qui sera à l'origine du Traité de Moscou de 1962, signé par Nikita Khrouchtchev et John Fitzgerald Kennedy, sur l'interdiction des essais nucléaires dans l'atmosphère, l'eau et le cosmos. En 1968, l'année où des tanks russes sont envoyés à Prague, il écrit son "Réflexions sur le progrès, la coexistence pacifique et la liberté individuelle" vendu à 18 millions d'exemplaires. Deux ans plus tard, en 1970, Sakharov est l'un des fondateurs du Comité des droits de l'homme en URSS. C'est sa condamnation de l'invasion soviétique d'Afghanistan - la dernière goutte d'eau pour Léonid Brejnev et le Politburo - qui lui vaudra l'exil et l'isolation à la ville interdite aux étrangers de Gorki, à 400 km est de la capitale. En 1969, son épouse, meurt, qui lui a laissé 3 enfants : Tatiana, née en 1945, Lioubov, en 1949 et Dmitri en 1957.

Le traitement inhumain dont Andreï et Elena sont victimes à Gorki à partir de 1980, est merveilleusement bien résumé dans une lettre d'elle à lui de 1984, qu'on pourrait intituler de "Je suis lasse". Car Elena Bonner y note : Je suis lasse des calomnies, des persécutions, des surveillances et des filatures policières permanentes, de toute l'illégalité que nous subissons...d'être séparée de ma mère et de mes enfants." (page 83). Et encore, elle n'y mentionne pas les coupures de téléphone, les campagnes de presse, le vol jusqu'à 4 reprises du manuscrit des "Mémoires" d'Andreï Sacharov, le manque de nourriture, les agressions verbales par des agents du KGB déguisés dans la rue, la pression exercée sur leurs amis, les soins médicaux fantaisistes etc.

Gravement malade du coeur, Sacharov fera une grève de la faim pour obtenir l'autorisation à son épouse de recevoir des soins médicaux urgents à l'étranger. Devant les virulentes réactions en Occident, le Kremlin capitule et permet à Elena de se rendre aux États-Unis pour y être opérée. C'est pendant ces 180 jours loin de Gorki en 1986 qu'elle a écrit le présent ouvrage.

Ses problèmes de santé, plusieurs interventions chirurgicales, l'émotion de revoir ses enfants et de faire la connaissance de ses petits-enfants, ainsi que l'angoisse pour son mari font que "Un exil partagé" est un livre qui sort du commun. Un document humain élaboré par une dame exceptionnellement courageuse. Un témoignage pas facile à lire, mais Elena Bonner a bénéficié de l'excellent travail du traducteur, Wladimir Berelowitch, lui-même écrivain et auteur d'entre autres "Le grand siècle russe d'Alexandre Ier à Nicolas II" et qui a également traduit les"Mémoires" de Sacharov. Berelowitch, directeur à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales, à Paris), a ajouté plein de notes de bas de pages fort utiles. L'ouvrage compte en outre 10 annexes et 16 pages de photographies.

Réhabilité en 1988 sous Mikhaïl Gorbatchev et élu au présidium de l'Académie des sciences, en 1988, Andreï Sakharov meurt l'année après. Son cortège funèbre immense reflète l'espoir des simples Russes en des jours meilleurs.

Le Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit est créé en 1988 par le Parlement européen. Parmi les lauréats, je cite Nelson Mandela, Alexander Dubček, Aung San Suu Kyi de Birmanie, les mères de la Place de Mai de Buenos Aires, Kofi Anan, Malala Youfsafzai du Pakistan etc.

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