Pierre n'aime pas recueillir des confidences, surtout celles de sa sœur. Les épanchements et tout ce qui dégorge de l'âme et du cœur bousculent sa pudeur. Tout bouillonne en lui mais il maîtrise le feu.
Il y a la rumeur.
Les égouts de la société ne sont pas des lieux de silence. Tout le temps ça crie. Ça parle. Ça pleure. Ça jouit. Des râles de brutes qui s'enculent.
Et puis des grilles qui claquent. Des haut-parleurs qui gueulent des ordres.
La prison n'est qu'une immense rumeur.
Pierre a peur. Peur que la raison de sa soeur ne vacille et qu'il ne faille la soigner d'une folie qui a déjà frappé leur famille. Leur père disait toujours que la folie est un héritage qu'on ne peut pas refuser. Dans la famille Verdier, les aïeux avaient connu des troubles graves. Leurs ennemis, dans le village, les surnommaient "la famille marteau". (p. 44)
Bientôt, je serai triste et vieille. Et plus personne ne me regardera. De ce regard qui insiste et qui soupèse...
(p. 21)
Elle ne l'a pas vue depuis des années. Elle se souvient qu'elle parlait seule quand elle allait au champ avec les bêtes. Ce souvenir l'effraie. Suzanne n'est pas une mauvaise femme. Elle est issue de deux ou trois mariages entre cousins germains. Une façon paysanne de garder l'héritage et de le consolider.
(p. 62)
Portal ne croit guère en Dieu. L'exercice de la police judiciaire lui en a trop fait voir sur la nature humaine pour qu'il espère encore.
Pourtant, les quelques mots du prêtre le touchent au plus profond de son être. Le Père Blanchard parle tout d'abord de Claire, lui redonne vie avec des mots simples. Il dit l'enfance dans ces montagnes rudes, la grandeur de ce petit destin qui a dû quitter cette terre de misère pour connaître le monde. Sa réussite dans les hautes sphères de la scinec.
Il dit aussi qu'il va prier pour celui qui l'a anéantie.
- Tu dois être un homme qui souffre d'un mal que nul ne connaît. Un homme déjà aux portes de l'enfer. Je prie notre Dieu tout-puissant pour qu'Il t'accorde Son pardon car tu es au-delà de la pitié des hommes.
Et, citant le poète John Donne, le père termine d'une voix de caverne capable de soulever les cœurs les plus endurcis :
- "La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi". Aujourd'hui il sonne pour l'humanité tout entière.
Elle n’est plus là, mais dans un pays imaginaire comme quand elle était enfant et qu’elle jouait dans le jardin en s’inventant des histoires de petite fille. Son père riait de la voir tourner en rond près de la cabane en parlant à un chevalier fictif. Marie Verdier n’aimait pas ça. Elle trouvait que ce n’était pas normal que sa fille n’aille pas jouer avec les autres enfants du village. Elle devait avoir peur que la maladie de la grand-mère ne revienne.
Claire exprime toujours ses sentiments avec la même simplicité, juste le mot exact. Dire que c'est beau suffit. Le beau est tellement rare.
La vie ne répond jamais à toutes les questions. La vie ne répond jamais à toute les interrogations qu’un être lui pose. La vie n'a pas de réponses.
Il fait bon pour une soirée d'automne. La dernière douceur avant la neige et l'hiver. Là-haut, dans le ciel rougeoyant, les Aiguilles se déparent lentement du jour, dames noires au bout des casses dures.