Quel roman vertigineux, complexe et singulier à la fois, que propose
Xavier-Marie Bonnot avec
Place du paradis ! Une immersion dans notre actualité à partir de l'histoire d'une fugace rencontre qui va s'approfondir.
C'est plutôt un échange de regards où tout se dit dans le silence. Ainsi Pierre pourra comprendre, peut-être, le néant de Marie, sa solitude et son bannissement de la société française suite à ses actions. Seulement pourra-t-il découvrir pourquoi, elle s'est effacée de sa vie française !
Ce roman dérange par les points qu'il développe, hors des sentiers imposés par la préséance politique. Il nous oblige à regarder là où on avait rangé le mal, loin, devenu en chaussant nos lunettes, si proche de nous. Car, l'Etat islamique, ce nouveau concentré de haine, se nourrit de nos fils et filles, ceux qui ont vécu dans notre culture, nimbés de notre histoire, et pourtant, ont été abandonnés, à un moment ou un autre… C'est cet abandon que raconte
Xavier-Marie Bonnot en entrecoupant des extraits d'audition, de procès et de documents du califat de l'horreur.
Brins d'histoire
Marie Rouard est une adolescente esseulée dans son univers occidental avec une mère dont la futilité dérange la femme qui naît en elle, reléguant son histoire familiale dans le tiroir d'une commode. Sa blessure est bien plus profonde qu'une inégalité sociale.
Alors, lorsque l'amour passe près d'elle, elle s'y engouffre, sans réfléchir, comme un nouveau continent découvert. Elle deviendra “Umm Adam” pour lui rester fidèle. Lui, Fabien Marceau, devient rapidement Abou Mohammed al-adnani.
En changeant de noms, le lavage de cerveau peut s'opérer et l'immonde de l'inhumanité s'insérer plus profond en eux. Seulement est-il si différent du jeune étudiant qui s'est surnommé Mazlum, volontaire des YPG kurde qui tue en récitant les passages de l'Apocalypse.
Pierre Déjean n'est plus tout jeune c'est “un vagabond du réel” avec son appareil photo qu'il a promené sur tous les fronts pour rendre compte des guerres de notre siècle. Une façon pour lui d'essayer de comprendre son père, et ses silences sur ses années de guerre, aux côtés du plus grand des poètes français qui se faisait alors appeler Hypnos.
Il y a un certain temps, Esther l'a introduit au passé de Raqqa. Mais son appareil, il l'a raccroché souhaitant arrêter de documenter ce réel auquel il a consacré sa vie. le regard échangé un jour de combats sur la
Place du Paradis va le ramener dans sa complexité.
Incarcérée en France, Marie accepte de parler à la juge d'instruction à condition qu'elle puisse aussi parler au photographe. Car, pour elle, une photographie célèbre a le goût de l'amour et de la perte, à la fois qui est légendée ainsi : ” Un enfant, seul, une grosse sucette à la main, marche dans les décombres. Les bombardements reprennent, l'enfant disparaît dans la poussière.”
Pour aller plus loin
Difficile de résumer un tel roman si dense, étayé par des extraits du procès du 13 septembre qui s'est déroulé pendant neuf mois, en 2021/2022. Il faut prendre le temps de cheminer aux côtés de Pierre et de Marie, et des autres, pour appréhender leurs doutes, leurs certitudes et leurs égarements. Évidemment, comme dans la vraie vie, le mal n'est jamais d'un seul côté. Il est partout et chez chacun. Même les accusés du procès ont leur humanité : “Au fond, Abdelslam n'est qu'un petit bonhomme, très à l'aise. Rien du commando viril, plutôt un cocu de la vie qui se venge, barbu en compagnie d'autres barbus. C'est dans l'arrière-boutique de ses prunelles qu'on découvre la merde qui lui sert de conscience.“.
Construit en 4 parties, le roman de
Xavier-Marie Bonnot offre un condensé de joie, de larmes, de réalité sur la guerre, le fanatisme, les certitudes et les raisons qui poussent les uns et les autres à se tuer. Seulement, Place au Paradis est aussi un roman d'espoir, mais pas de celui des romans Feel good. Ici, pas de rédemption juste une lucidité à acquérir pour affronter les conséquences de ses actes. Et, c'est peut-être tout simplement, cela, la liberté ! Avec, une fin qui sauve le tout !
Précision d'orfèvre
D'une précision ajustée, composée pour suggérer plutôt qu'accabler, l'écriture de
Xavier-Marie Bonnot saisit à la fois par sa justesse et sa retenue. le sens y est intense avec une histoire qui décrit les mêmes images que celles qui peuplent nos écrans. Aucune facilité dans le propos !
Pierre ressemble à un
Patrick Chauvel, grand reporter, qui vient de raccrocher son boîtier en donnant son fonds photographique au Mémorial de Caen. En documentariste expérimenté, l'écrivain propose aussi une réflexion sur le pouvoir des images, leur surenchère et leur capacité à faire ce buzz tant attendu par les chaînes d'informations et les réseaux sociaux. Et, Marie, elle, nous fait penser à n'importe quelle jeune fille, au regard fier, se trimballant en niqab sur le parking d'un Leclerc.
Un titre au symbole multiple
À force de prétendre que nos enfants ne sont pas capables de tels actes, et qu'il suffit de les garder dans des camps au fond du désert ou dans nos prisons froides, on croit le problème résolu.
Pourtant, les premiers vont sortir de ces mêmes prisons où ils ont été à l'isolement, toutes ses années. Ils y auront développé une féroce envie de vengeance, tout au plus ! Que leur proposerons-nous pour retrouver une place parmi nous. Une fiche S…!
Xavier-Marie Bonnot nous suggère de retrouver notre humanité et d'essayer de comprendre.
Place du Paradis, ce titre est au carrefour de l'histoire de la Syrie, des fous de l'Etat islamique qui croient y aller en tuant, à la prospérité du califat abbasside et l'émergence de la littérature arabe, véritable délice des mots, en passant par l'exposition des exécutions visant à convertir tout un peuple en esclaves. Ce roman de
Xavier-Marie Bonnot est un condensé d'humanité qui espère appeler à la compréhension.
Évidemment, à recommander !
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