Nous ne renions pas notre terre. Nous lui appartenons, comme elle nous appartient. En perdre un seul morceau équivaut à perdre de notre substance même. Le Marais n’a vécu, jusqu’ici, que de la ferveur de ceux qui l’ont fait. Si tous désertent et laissent la place aux indifférents, ou pis, aux profiteurs, le Marais mourra. Bien sûr, il ne nous donne rien de ce que nous pourrions trouver ailleurs : ni situation, ni renom, ni fortune. Il fait de nous, filles et garçons, des paysans des eaux mortes, des marchands de peupliers aussi. Et l’été, en plus, pour quelques-uns, des gondoliers. Aux yeux du monde, – de ce que vous appelez « le monde » – nous sommes, nous, les maraîchins, des êtres bizarres, un peu attardés et méprisables, piqués, çà et là, sur le paysage des Conches pour lui donner plus de relief. C’est tout.
La Venise Verte… le silence… l’absence de moustiques ! Les maraîchins ont toujours évité les dispersions des biens. C’est d’ailleurs pour cela que le Marais a vécu, et survécu, au travers des siècles. Vous le savez bien.
Les années n’avaient pas passé sur elle sans la transformer. Elle était belle dans cette ombre qui lui faisait écrin. Quel âge pouvait-elle avoir ? Vingt ans, peut-être… Ou plus.