«
La disparition d'Hervé Snout » est le dixième roman d'
Olivier Bordaçarre dont j'avais déjà lu «
Appartement 816 ». Je me souviens qu'à l'époque j'avais été assez impressionnée par son écriture qui avait déjà un sens de la formule très marqué. Autant vous dire qu'ici, c'est l'autoroute du bonheur malgré les horreurs racontées dans ce texte.
«
La disparition d'Hervé Snout » commence comme un fait divers presque banal (et j'occulte volontairement le prologue dans un premier temps) : un homme ne rentre pas chez lui pour dîner. le fameux « il est parti chercher des cigarettes et n'est pas jamais revenu ». Sa femme, Odile Snout semble être morte d'inquiétude : elle avait préparé un boeuf bourguignon pour l'anniversaire de son mari. Elle pensait, avec ses deux jumeaux dizygotes, Eddy et Tara âgés de 14 ans, fêter dignement cet événement. Les heures passent, toujours pas de Snout à l'horizon…
Envoyez les carpaccios !
Dans «
La disparition d'Hervé Snout », il est énormément question de viande, puisqu'Hervé dirige un abattoir ! Oui, mesdames, messieurs, chez les Snout on aime la barbaque, morte ou vive, et on traite les membres de la famille comme les animaux qu'on zigouille, sans grand respect.
Olivier Bordaçarre utilise la disparition de Snout pour dérouler le fil de toutes les péripéties qui s'y produisent durant les heures de cette interminable attente, et en profite pour subrepticement nous présenter les membres de cette famille lambda à travers les voix de ceux qui la composent. D'abord la mère Odile, épouse très épanouie sous le joug de son cher mari (non, je rigole), enfermée dans un mariage qui la ronge de l'intérieur. Hervé n'est pas rentré, finalement est-ce une si grosse catastrophe ? Elle saura bien s'occuper sans lui… Puis, le fils Eddy, tueur né, rugueux, ultra réceptif aux préceptes enseignés par son père, qui tente de s'imposer comme un mâle dominant, souvent une terreur des bacs à sable à l'école. Tout doit aller dans son sens, de gré ou de force ! « Tu seras un tueur, mon fils ». Enfin, la fille Tara, un ovni dans cette famille de carnivores qui s'affirme par son végétarisme, par rébellion, mais aussi par croyance profonde. Les principes du paternel, elle les hache menu ! Pour fuir sa famille, elle n'a trouvé qu'un seul moyen : avaler des kilomètres en courant.
Je prendrais bien un petit tartare…
Petit à petit, des indices presque insignifiants apparaissent dans le texte pour laisser entrevoir les failles de cette famille presque ordinaire, traces qui permettent d'appréhender que les abats de la discorde ont été semés depuis longtemps et qu'ils mijotent ! En attendant le père, on ingurgite le boeuf bourguignon, on régurgite de petites pensées assassines « (…) mais un repas sans dispute ou simplement sans tension, c'est toujours cela de gagné, on digère mieux. » Tiens, tiens, chez les Snout, on n'a pas l'air de beaucoup aimer les dîners familiaux… Adieu veau, vache, cochon, quand le Snout n'est pas là, les pensées des agneaux dansent. Car, dans «
La disparition d'Hervé Snout », tous les personnages sont atteints de délires existentiels dus à l'évaporation d'Hervé. « Est-il humainement possible de connaître chaque coin d'une âme, même la plus proche de soi ? Constituée d'innombrables anfractuosités, interstices et galeries, fissures et gouffres, ondes et méandres, l'âme, ou la psyché, en évolution permanente, demeure pour l'explorateur, une terra incognita. » C'est l'heure du grand étripage des ruminations… L'auteur, un peu sadique, nous fait entrer dans la tête de ses personnages, et croyez-moi, on n'a qu'une envie : celle de se barrer ! Difficile d'aimer qui que ce soit dans cette famille (à part peut-être Tara… on se demande d'ailleurs par quel infructueux hasard elle a atterri là) et pourtant, on continue la lecture avec avidité en s'empiffrant de ces tripes et boyaux. Qu'est-il arrivé à Hervé ?
Olivier Bordaçarre nous tient, en nous caramélisant les papilles.
Il faut bien admettre que son écriture est savoureuse à souhait. Il a un sens de la formule sans pareil pour raconter des horreurs grâce à un humour caustique. Je suis passée du dégoût le plus profond au fou rire le plus incontrôlable ! Si «
La disparition d'Hervé Snout » est le centre du roman, elle n'est pourtant qu'un prétexte pour aborder d'autres thématiques lorsque l'on enclenche le second degré de lecture. Soyez attentif au prologue, gardez-le à l'esprit, Bordaçarre le fait macérer au vin rouge et petits oignons, et vous le dépèce au compte goutte dès la deuxième partie. Les choses se corsent alors, puisque le lecteur est embarqué dans le passé, environ deux mois avant la disparition de Snout. Comment est votre blanquette ? Épicée ! C'est le grand rendez-vous avec Hervé, pas disparu, sur son terrain de jeux préféré : son entreprise, l'abattoir. Quel charmant personnage ! En raison d'un certain évènement de jeunesse que je vous laisse découvrir, Monsieur Snout est devenu un homme odieux. le voir évoluer sans son milieu naturel permet à l'auteur de s'en donner à coeur joie. D'idées, il n'en manque pas, de sujets non plus. Il décortique le monde du travail, dont celui des abattoirs avec brio en adaptant et l'ambiance et le langage. Il scrute la famille et le couple sous sa lampe torche en aromatisant le tout d'une bonne dose d'années qui passent… « La routine est le nom de l'insecte xylophage dans la charpente du couple », on saura apprécier. C'est l'heure de la grande régalade, des règlements de compte intérieurs et extérieurs. Chaque raconte sa vérité et ça sent la viande faisandée !
Le prologue vient alors s'entremêler à l'histoire de la famille Snout. Deux personnages centraux font leur apparition. Ceux-là, je les ai passionnément aimés. Au milieu de cet univers cauchemardesque, ils brillent par leur humanité. Leurs liens sont profonds, leurs sentiments, l'un avec l'autre, viscéraux. Qui se frotte à ces paupiettes de veau tendres et réciproquement bienveillant risque fort de rôti en enfer !
Dans «
La disparition d'Hervé Snout »,
Olivier Bordaçarre nous entraîne dans un tourbillon d'horreurs familiales et professionnelles, de délires existentiels, où la viande est autant un ingrédient de cuisine qu'une métaphore pour les rapports humains. Grâce à une écriture savoureuse et corrosive, l'auteur nous convie à un banquet littéraire où l'humour noir côtoie les tréfonds de l'âme humaine. Entre macabre et hilarité, ce roman très noir nous confronte à la vérité crue de l'existence, dans le domaine privé et professionnel, tout en nous faisant dévorer avidement ses pages, aussi dérangeantes soient-elles. Une expérience littéraire à la fois succulente et crispante, où chaque bouchée nous rapproche un peu plus de la vérité dissimulée au coeur de cette famille. La dernière citation du livre (
Paul McCartney) résonne dans ce texte qui explore, en plus des thématiques déjà citées et de celles cachées, la relation des hommes aux animaux dans notre rapport à la consommation de viande. L'occasion de réfléchir encore une fois à la façon dont nous nous comportons et d'apporter une nouvelle lumière sur le roman et son sens. À méditer…
Lien :
https://aude-bouquine.com/20..