Un épouvantable accident fige un instant les passants. Grâce au courage de l'un d'eux, la passagère échappe à une mort atroce.
Dans un bel appartement feutré, Paul prépare le goûter de sa fille en écoutant son beau-frère lui exposer ses doutes d'artiste. Julia, sa femme, reçoit un patient dans son cabinet de psychothérapeute. Valentine, l'adolescente, boude, grogne, se dispute.
Un jour, Sergi croise dans l'ascenseur, une rousse incendiaire . C'est ELLE, la femme de sa vie. Tout va pour le mieux.
Ou pas...
Je ne connaissais pas du tout
Olivier Bordaçarre quand ce roman m'a été proposé par l'opération Masse Critique. La couverture me plaît, le titre m'intrigue, le résumé m'attire... Pourquoi ne pas tenter ma chance ?
Dès les premières pages, je suis tétanisée. le récit s'ouvre sur un terrifiant accident de voiture raconté de façon cinématographique. Coincée dans l'habitacle, une jeune femme, assommée et blessée prend lentement conscience que, si personne ne lui vient en aide, elle va mourir. le réservoir fuit, l'essence s'enflamme...
Le deuxième chapitre nous transporte dans un univers bien plus rassurant. Dans un appartement cosy de la rue Boulanger, un père de famille gère une adolescente rebelle qui veut à tout prix loger chez une copine et une petite fille avide de visionner un film de « grands ». Et d'ailleurs, « maman, elle voulait bien ». Paul discute avec son beau-frère, un peintre, qui hésite entre satisfaction de se voir enfin exposé dans une galerie et crainte de se faire rouler financièrement. Sans parler de ses doutes d'artiste : sera-t-il prêt à temps ? Ses oeuvres sont-elles dignes d'être présentées au public ?
Le roman est divisé en vingt-six chapitres dont les titres sont des adresses. Une bonne partie de l'histoire se déroule au troisième étage d'un immeuble ancien, occupé par Paul Calmant et Julia Vélasquez, une psychanalyste qui exerce à domicile, contraignant sa famille, au demeurant plutôt exubérante, à se tenir tranquille quand elle consulte. Leur voisin est Sergi Vélasquez, son frère, qui a transformé l'espace en un atelier bordélique. de temps en temps, nous retrouvons la jeune femme rescapée de la collision du début.
L'atmosphère, assez bon enfant à partir du deuxième chapitre, évoque la passion de Paul, cinéphile averti, les revendications de Valentine et Anouk, ses filles, mais aussi le coup de foudre de Sergi pour cette beauté mystérieuse croisée dans l'ascenseur. Que peut bien faire une femme pareille chez une thérapeute ? Pourtant, Julia le met en garde : s'il sort avec une de ses patientes, la déontologie lui interdit de poursuivre les entretiens. Mais franchement, où est le problème ? Rebecca a l'air parfaitement équilibrée. L'art de l'auteur consiste à distiller des éléments perturbateurs qui instaurent tension et malaise.
Un moment clef est celui où Sergi et Rebecca semblent jouer un remake du « Mépris » de Godard. Ici, Sergi se demande s'il ne devrait pas siffler quelques notes d' « Ascenseur pour l'échafaud », là, il raconte cette anecdote où Giacometti déclare : « dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat ». Voici, cachée entre deux voitures, Rebecca occupée à espionner Sergi. La voilà en pleine crise de colère, brisant tout autour d'elle. de discrets appels destinés à éveiller notre attention.
Olivier Bordaçarre utilise avec brio le discours indirect libre et transpose remarquablement les tics de langage des locuteurs. Valentine harcèle son père : « Félicie lui ferait grave la gueule (déjà qu'actuellement, au niveau de leur relation, c'était hyper complexe à gérer) ». Anouk a une idée fixe : regarder « King Kong ». « Mais siii ! Trépigna la petite au bord des larmes. » Elle sort « en grognant j'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre. » Sergi se parle à lui-même. Dans une galerie, il se perçoit à travers le prisme du regard des autres, dont les réflexions sont à la deuxième personne du pluriel : « C'est tout vous ça, désirer l'ombre et provoquer la lumière, c'est vous tout craché. Une petite entorse au règlement vestimentaire vous positionne en inadapté. Ça attise la sympathie ou la curiosité, le mépris ou l'attendrissement. »
Soudain, nous déambulons dans une rue d'été. L'auteur peint les couleurs avec humour : « On avait chaussé les lunettes noires, on était bras nus, on fumait des blondes en sirotant des rousses, le sourire surligné d'un trait de mousse blanche », clin d'oeil à l'univers de Sergi.
Quelques mots suffisent à faire défiler sous nos paupières une scène de film connue : « Tati, pardessus beige froissé, chapeau brun à bord courbe, pantalon feu au plancher, chaussures marron, chaussettes à rayures, pipe emblématique et pébroque noir ». Indiscret, Sergi colle l'oreille au mur mitoyen du cabinet de sa soeur. Quelques bribes de la confession lui parviennent : « … grâce à moi... contrat avec l'industriel... je n'arrive pas à … il faut... beaucoup de temps... »
Le style m'a donc paru riche et varié.
Olivier Bordaçarre sait créer un climat, une ambiance.
Le thème principal est, sans conteste, celui du double. Dès les premières lignes, on se focalise sur la passagère de la voiture accidentée. Mais, à côté d'elle, sur le siège conducteur, personne. Mystère. Ce n'est que bien plus tard que nous comprendrons. Sans cesse, on joue sur le contraste ombre et lumière. La photographe se présente de dos. Sergi et Julia sont frère et soeur. Julia fouille dans les esprits, Sergi fouille dans des débris, des poussières, qu'il agglomère à sa peinture pour créer des « cailloux ». Il y a deux appartements, deux chats, d'incessants jeux de miroirs.
Sur la couverture, du rouge, symbole du feu et du sang, deux femmes, dont l'une cache son visage derrière l'objectif et cadre le dos de l'autre. le tout très symbolique et très parlant quand on lit le roman.
Les personnages ont de l'épaisseur. On peut s'attacher à eux, se projeter dans certaines des situations qu'ils vivent, dans certains de leurs sentiments.
J'ai trouvé ce livre très réussi, prenant, captivant, haletant, même, parfois. Et,bien que j'aie pressenti le secret dès le début, j'ai beaucoup aimé cette lecture.
Je remercie donc de tout coeur l'opération Masse Critique et les éditions Phébus qui m'ont permis de la découvrir.