« Je demande à mes dieux ou à la somme du temps
Que mes jours méritent l'oubli,
Que mon nom soit Personne comme celui d'Ulysse,
Mais que se perpétuent quelques-uns de mes vers
Dans la nuit propice à la mémoire
Ou dans les matins des hommes » "A un poète saxon"
Hommage au poète inconnu de la Chronique anglo-saxonne, mais peut-être aussi l'envie de
Borges que ses vers ne soient pas oubliés…
Borges, je découvre et je ne peux pas dire que ça soit gai.
« Pour le sommeil et la mort,
Ces deux trésors cachés » "Autre poème des dons"
Mais au final, j'ai bien aimé ce recueil, il parle de lui, de la poésie, de la nuit, il fait revivre des batailles, des héros des anciens temps, d'autres continents, évoque des villes et des voyages et ses peurs, ainsi que la cécité.
‘'Patchwork de souvenirs ‘'
- J'ai commencé ma lecture en étant attiré par les voyages, les villes que Borges décrivait et puis j'ai remarqué que la nuit revenait régulièrement dans les poèmes. La nuit, la mort, la cécité… tout se mélangeait dans une mélancolie, une tristesse de l'infini et la douleur et j'ai commencé à relever les passages qui me parlaient :
« et la nuit qui nous délivre de la plus grande angoisse : la prolixité du réel. » "Cette nuit-là on veillait quelqu'un dans le sud"
« La nuit est une longue fête solitaire » "Quasi-jugement dernier", sans doute mon vers préféré, qui fait écho à "Insomnie" :
« En fer !
Elle doit être en fer, soutenue d'énormes arcs-boutants de
fer, cette nuit.
pour ne pas être crevée, défoncée
par la dure foule morte qui la peuple insupportablement.
- Et la nuit, quand dans le poème "Ma vie entière" Borges écrit « J'ai goûté à de nombreux mots » on comprend que l'insomniaque lit tant qu'il peut mais que les ténèbres l'empêcheront de terminer sa pile…
« La veillle se prolonge : à la fenêtre grise
Va s'achever la nuit. de ces livres en tas
Dont l'ombre se répand sur la table indécise
Il en est quelques-uns que nous ne lirons pas. » "Limites"
- Avec "Arioste et les arabes", j'ai eu le sentiment d'un hommage au livre qui traverse les siècles et n'existe que parce qu'il y a « les levants, les nuits, le choc des fers, les plaines et les vents, les siècles – et la mer qui joint et qui sépare » et le regret que cela ne soit pas le cas de celui qui fait l'histoire, car il est brindille dans la tempête du Temps et retournera poussière fugace image d'un passé glorieux et perdu dans les mémoires « Mais la gloire qu'est-ce, sinon l'une des formes de l'oubli ? »
« La salle s'est vidée. Il fera bientôt nuit,
Et le livre muet poursuit ses longs voyages.
Derrière lui restent les flots, les vents, les âges,
Le jour, l'ombre – et ma vie, ô rêve qui s'enfuit. »
- Borges dit de lui « J'ai persévéré dans l'à-peu-près du bonheur et dans l'intimité de la peine. » extrait de "Ma vie entière". Encore un vers qui marque la tristesse que j'ai ressentie tout au long de la lecture. Ce sont des textes où le bonheur n'est pas mais il y met de la connaissance, de l'intelligence fine et un attrait pour les histoires anciennes, et pas exclusivement latino-américaines (le monde anglo-saxon revient souvent dans les poèmes).
- J'ai trouvé une rare touche de couleurs (malgré le thème morbide) que je me suis empressée de noter :
« Si les fleurs ont toujours veillé sur la mort,
c'est que l'homme a toujours eu l'incompréhensible révélation
que leur existence assoupie et gracieuse
est celle qui peut le mieux accompagner ceux qui sont morts
sans les offenser d'une superbe présence,
sans presque vivre plus qu'eux-mêmes. » "La recoleta"
- Et puis cette fulgurance qui me plait énormément concernant "Les miroirs"
« Telle, écrins de cristal, est votre double loi :
Dans vos limites tout survient, rien ne demeure. »
- Une impression : un pont avec des romans d'Arturo Perez-Reverte, notamment "Le Tango de la vieille garde" en lisant ces passages :
« le tango, pourvoyeur de souvenirs, nous forge
Un passé presque vrai. Dans ce faubourg perdu
C'est moi qu'on a trouvé sur le sol étendu,
Un couteau dans la main, un couteau dans la gorge. » "Le tango"
« Ils sont seuls à leur table austère. le tournoi
Alterne ses dangers ; lentes, les pièces glissent
Tout au long de la nuit deux couleurs se haïssent
Dans le champ agencé qui les tient sous sa loi. » "Echecs"
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