Il n'avait ni patrie ni roi, mais une poignée d'hommes fidèles.
Ils ne cherchaient pas la gloire, seulement à apaiser leur faim.
Ainsi naquit le mythe. Ainsi se raconte une légende.
Après avoir été banni du royaume de Castille par le roi Alphonse VI, Ruy Díaz vend, au mieux offrant, les services de sa troupe de soldats dévoués. Dans cette lutte pour la survie en territoire hostile, sa force de caractère et ses faits d'armes lui vaudront rapidement le surnom de Sidi Qambitur, maître triomphateur.
Avec son talent habituel, Arturo Pérez-Reverte nous plonge dans l'Espagne du XIe siècle, celle des rois rivaux, des batailles sanglantes et des jeux d'alliances entre chrétiens et Maures. Loin du mythe manichéen du Cid patriote, Sidi est le portrait d'un chef de guerre hors pair, d'un formidable meneur d'hommes et d'un stratège au sens de l'honneur inébranlable. Un roman haletant, épique et magistral, une immersion au coeur de l'Histoire.
Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli
« Un récit magnifique, du pur Pérez-Reverte. » El Mundo
Arturo Pérez-Reverte, né à Carthagène, Espagne, en 1951, a été grand reporter et correspondant de guerre pendant vingt et un ans. Avec plus de vingt millions de lecteurs, il est l'auteur espagnol le plus lu au monde, et plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran. Il partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et sa passion pour la navigation. Il est membre de l'Académie royale d'Espagne.
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Tandis qu'il s'éloigne, il entend la femme l'insulter entre ses dents. "Salaud de merde" dit-elle, ou quelque chose de semblable. Le ton est le même dans toutes les langues. Un peu plus loin, il ouvre sa capote et soulage sa vessie en urinant sur un tas de briques en morceaux, dans une ruelle courte et étroite où un éclat de la lune qui monte au-dessus des maisons et plonge entre deux avant-toits atténue les ombres et lui permet de distinguer des monceaux d'ordures et aussi, alors qu'il boutonne sa culotte, les yeux rougeâtres, brillants et malins d'un rat qui le guette. Presque aussi grand qu'un chat, immobile, l'animal le regarde fixement, tassé sur lui-même, pour essayer de passer inaperçu. Raposo l'observe, puis se baisse doucement pour ramasser un morceau de brique. Le rat semble deviner son intention, émet un couinement de peur et de menace qui dessine un sourire cruel sur les lèvres de l'homme, tandis qu'il lève la main dans laquelle il tient la brique. Un rat coincé dans une ruelle, au milieu des ordures. Parfaite image du monde, se dit Raposo en lançant le projectile.
— Une femme n'est jamais seulement une femme, mon cher Max. Elle est aussi, et surtout, les hommes qu'elle a eus, ceux qu'elle a et ceux qu'elle pourrait avoir. Rien ne s'explique sans eux... Et celui qui accède à cette connaissance possède la clef du coffre-fort. Le ressort de ses secrets.
La vertu ne donne jamais que des tableaux froids et mornes… En définitive, ce sont la passion et le vice qui animent les compositions du peintre, du poète et du musicien.
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[...] Il entend le claquement sourd de l'arbalète et se dit, en un éclair, qu'il doit s'écarter de la trajectoire du trait ; mais il sait qu'un carreau court plus vite qu'un homme. Et il sent que son âme laisse couler lentement une plainte amère tandis qu'il cherche dans sa mémoire un Dieu à qui confier son repentir. Et il découvre avec surprise qu'il ne se repent de rien, même si à dire vrai il n'est plus très clair qu'il y ait, en ce moment où la nuit tombe, un Dieu pour l'écouter. Alors il sent le coup. Il y en a eu d'autres auparavant, comme en témoignent ses cicatrices ; mais il sait que celui-ci n'en laissera pas. Il ne fait pas mal non plus ; à peine si l'âme semble s'échapper par la bouche. Alors tombe soudain la nuit irrémédiable et, avant de s'enfoncer en elle, il comprend que cette fois elle sera éternelle. Quand Roger d'Arras lance son cri, il n'est déjà plus capable d'entendre sa propre voix. [...]

Alors qu'il passe un pont de pierre au-dessous duquel une rivière aux eaux troubles court avec violence, le cheval se met à boiter. En grommelant une malédiction, Raposo tire sur les rênes, descend de sa monture et examine les pieds de l'animal, dont la chaleur contraste avec l'eau glaciale qui court et les recouvre. La malédiction se change en un atroce blasphème quand il s'aperçoit qu'un des fers a disparu. Se protégeant du mieux qu'il le peut avec sa capote, momentanément aveuglé par la pluie, il ouvre la sacoche, en sort un fer de rechange, une navaja, des clous et un marteau. Puis il cale entre ses jambes le pied du cheval et, chassant de temps à autre l'eau de son visage du revers de la main, il racle la corne, y pose le fer et le cloue du mieux qu'il peut. Les gouttes s'écrasent tout autour de lui, le criblent, s'infiltrent dans les coutures de la toile qui le couvre, courent, froides, de sa nuque à ses épaules et à son dos, lui donnent le frisson. Quand après un long moment, il est venu à bout de la tâche, il a les jambes trempées jusqu'aux cuisses, les manches de sa veste dégoulinantes, et ses bottes ressuent l'eau. Alors, sans hâte, Raposo range les outils, saisit l'outre de vin et, renversant la tête en arrière, engloutit une très longue gorgée tandis que la pluie lui fouette le visage. Il se remet en selle et à peine le cheval sent-il l'homme sur son dos et la bride lâchée qu'il repart, laissant dans sa lancée le bruit de ses fers sur la pierre du pont.

- Je veux vous adresser une requête, commandant Navia. Ou plutôt deux, en réalité. - II avait sorti une enveloppe scellée d’une poche de sa veste, qu'il tint entre ses doigts et regarda. - J'ai une femme et deux enfants en zone nationale. Ils sont à Luarca, je crois. Et j'aimerais que si... Je veux dire... Si le sort vous était favorable, que vous leur fassiez parvenir cette lettre.
Après un moment d'immobilité, comme s'il tergiversait, Navia tendit la main.
- Je ferai mon possible.
- Je vous remercie. La seconde requête concerne mes hommes... l’équipage du Mount Castle.
(...)
Quirôs fit trois pas en direction de la fenêtre. Il regarda la nuit, sortit de sa poche un paquet de cigarettes et en glissa une entre ses lèvres.
- Ce sont de braves gars, vous savez... Des marins comme les autres que la vie a conduits à bord du Mount Castle comme elle aurait pu les conduire à bord de votre destroyer. Une demi-douzaine d'entre eux a des idées radicales, les autres se bornent à rester ftdèles à leur bateau, à leur capitaine et à la République. Qu'ils servent en faisant leur travail aussi bien qu'ils le peuvent... C'est tout.
- Qu'attendez-vous de moi ?
Quirôs s'était tourné vers le commandant.
- Que vous ayez l'humanité de ne pas débarquer les survivants en zone nationale.
Ce qui faisait la supériorité des livres, elle avait découvert ça à El Puerto de Santa Maria, c'était que l'on pouvait s'approprier des vies, des histoires et des réflexions qu'ils contenaient, et que l'on était jamais la même quand on les refermait que quand on les avait ouverts pour la première fois. Des gens très intelligents avaient écrit certaines de ces pages ; et si on était capable de les lire avec humilité, patience et envie d'apprendre, ils ne vous décevaient jamais. Même ce qu'on ne comprenait pas restait ancré dans un coin caché de votre tête : dans l'attente que l'avenir lui donne un sens en le transformant en choses belles et utiles.
L'épisode lui avait appris une leçon qui allait lui être très utile pour la vie : dans le doute, liquide l'autre. Mieux vaut un « on ne sait jamais » qu’un « si j’avais su ».
Bien des malheurs de ma vie adulte m'auraient été épargnés si j'avais consacré plus de temps à observer le regard des femmes.
... la vie est une espèce de restaurant coûteux où l'on finit toujours par vous remettre l'addition, sans qu'il faille pour autant renier ce qu'on a savouré avec bonheur ou plaisir.
( Le Tableau du Maître flamand )