AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de MarcelineBodier


Attention, livre coup de coeur ! le coup de coeur qui fait pleurer, qui emporte dans un tourbillon d'émotions fortes avant de nous amener sur une rive où ce tourbillon a trouvé un exutoire inattendu... j'ai mis en commentaire Amazon (on a droit aux liens Amazon sur Babelio ? https://www.amazon.fr/poussiere-du-vent-Cathy-BORIE-ebook/dp/B077T7V87X/) tout ce qui m'a fait pleurer dans ce livre, pleurer des larmes que je souhaite à tout le monde. Ici, sur Babelio, je voudrais revenir sur son thème majeur : celui du discours des descendants des camps de la mort, dont Cathy Borie fait partie (son grand-père a été déporté, prisonnier politique à Neuengamme).

Nous y voilà. Cette thématique, c'est celle de notre début de siècle. Les survivants des camps ne peuvent pas survivre au-delà de l'horizon temporel qui nous est imparti à tous ; certains peuvent encore faire entendre leurs voix, mais ils ont maintenant engendré une, deux, trois générations qui sont devenues adultes et ont dû grandir et se construire avec la souffrance de leurs ancêtres. Aujourd'hui, l'injustice suprême est que cette souffrance ne s'éteint pas avec ceux qui l'ont vécue dans leur chair, mais elle a été transmise à leurs descendants, qui l'expriment par des symptômes différents de ceux qui ont été directement traumatisés, mais qui n'en sont pas moins réels.

Cette thématique, la transmission intergénérationnelle des traumatismes, a déjà donné lieu à des théories psychologiques passionnantes et importantes (je pense notamment aux travaux de Torok et Abraham sur la transmission intergénérationnelle des secrets de famille, ou à ceux d'Anne-Lise Stern sur ce qu'elle a appelé le savoir-déporté) ; et si le courant de la psychogénéalogie (je pense notamment à Anne Ancelin-Schützenberger) est de plus en plus à la mode, ce n'est certainement pas un hasard de calendrier. Mais c'est aussi la littérature qui a maintenant vocation à nous donner à ressentir dans notre propre chair ce que c'est qu'être le descendant de quelqu'un qui est allé au bout de l'horreur.

Il y a quelques années, le livre de Fabrice Humbert, L'origine de la violence, a déjà traité de ce sujet. Un livre brillant et bouleversant, qui met en lien la violence irrépressible que le narrateur ressent avec l'histoire de son grand-père biologique, mort en déportation, dont il découvre l'existence de manière fortuite. Aujourd'hui, c'est au tour du livre de Cathy Borie d'évoquer ce thème. Elle le fait d'une manière très différente : à la troisième personne, même si, elle l'a dit en lançant le livre, elle a écrit "d'après l'histoire de sa famille" ; et elle explore moins les mécanismes de la transmission, mais laisse une place beaucoup plus grande à l'exploration des émotions.

Et elle le fait aussi en donnant corps à un processus qu'on pourrait appeler résilience intergénérationnelle : dans son cas, l'ancêtre déporté a survécu, et il a trouvé une façon de protéger en partie ses descendants. Les théories de la transmission du traumatisme, qui peuvent mener les descendants des déportés à un destin psychiatrique, sont, schématiquement, les suivants : la première génération est traumatisée et si elle survit, elle se tait ; la deuxième grandit dans les non-dits et l'angoisse, ce qui peut provoquer névroses et dépressions ; la suivante grandit également au milieu des non-dits et de l'angoisse, mais ils sont d'une nature différente car cette fois, leurs parents ne connaissent de toute façon pas les mots qui pourraient lever les non-dits. Cela correspond donc à une case blanche, un trou dans le psychisme, qui peut s'avérer plus pathogène que celui du non-dit "classique".

La clé est bien sûr dans la possibilité de réintroduire la parole, des mots... mais dire l'indicible est une telle contradiction dans les termes qu'elle ne peut pas toujours être levée. Cela a été possible dans la famille de Cathy Borie : je ne lève qu'un tout petit coin du voile si je dis que le grand-père déporté a laissé sa fille écouter ses conversations avec ses amis survivants des camps, si bien qu'elle a pu recouvrir de quelques mots les cauchemars qu'elle l'entendait faire la nuit. Dès lors, il a pu transmettre suffisamment de son expérience et à partir de là, malgré les larmes et la douleur, une forme de résilience a pu se transmettre aussi, que Cathy Borie décrit, et qui aboutit à un final très inattendu mais porteur d'espoir pour les lendemains.

Il faut lire de la poussière et du vent : parce qu'au travers de cette histoire particulière et particulièrement touchante, c'est un pan majeur de notre histoire qui s'écrit. Ce livre est auto-édité chez Librinova, mais Cathy Borie n'est pas une auteure auto-éditée comme les autres : elle a déjà publié plusieurs  livres, dont l'un (La nuit des éventails) est paru il y a deux ans aux éditions La Rémanence, qui pourraient de nouveau la publier. Mais en 2017, elle a gagné un concours littéraire (DraftQuest/Librinova) pour Dans la chair des anges, dont j'ai déjà eu l'occasion de dire ici tout le bien que j'en ai pensé. Cela lui a ouvert les portes d'un contrat d'agent littéraire chez Librinova, pour trouver une plus grosse maison d'édition. En attendant - si je puis dire -, elle auto-édite ce qu'elle écrit. C'est donc une auteure déjà reconnue, sur le chemin d'une reconnaissance plus large. Profitez-en : lisez-la pour vibrer, apprendre, mieux comprendre les maux de notre société... et pouvoir en parler avant tout le monde !
Commenter  J’apprécie          363



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}