De tout faire pour que Lise devienne flic.
Boisfeuras avait tenu sa promesse, et il était prêt, encore aujourd'hui, à en assumer les conséquences. Il ne regrettait rien. Paul Lartéguy avait eu raison : sa fille était devenue un bon flic. Il y avait bien quelques débordements, mais, dans l'ensemble, elle avait appris à se contrôler. Médicaments, drogues, thérapies ? Il ne voulait pas le savoir.
Et il avait raison.
Le Monstre n'a plus que quelques pas à faire. Il ne pense à rien, il respire les mouvements des hommes dans la petite pièce, certains assis, d'autres debout à s'échanger une bouteille, ils parlent une langue inconnue. Ils crieront dans une langue inconnue.
Elle était persuadée qu’un jour ce bâtiment serait vendu et repris par une grande banque, cela serait la logique de ce monde cynique où l’on s’enrichissait en mettant des gens au chômage.
Elle était rebelle, violente, et les plaintes pour saccage et pour agression se multipliaient. Cette enfant était possédée par le diable, elle frappait, sans raison ou à la moindre contrariété, copines, adultes ou représentants de l'autorité. Capable en une seule nuit de détruire une centaine de rétroviseurs et d'essuie-glaces, de casser dix pare-brise, les vitres d'une cabine téléphonique et de mordre jusqu'au sang un gardien de la paix. Seule la présence de son père la calmait.
Il avait les mots, et un plan, pour assurer l'avenir de sa fille : lui apprendre à canaliser sa violence, à l'utiliser. Mais ce n'était pas si simple. Lise avait fini par se révolter.
Elle envoya de toutes ses forces un coup de poing dans sa truffe. On entendit les os craquer. Le sang pissa de ses narines et le chien poussa un couinement à fendre le cœur d'un restaurateur chinois.
"I just wanna be a women" disait la chanson de Portishead.
"Je veux juste être moi."
Elle fit semblant de tomber dans le panneau et de vouloir le frapper de son pied gauche entre les jambes, avant de pivoter à la vitesse d'une mangouste et d'envoyer son talon droit lui balayer la gueule et lui écraser le nez. Peine perdue, il l'avait déjà cassé. Elle aurait tapé un pylône, cela aurait été la même chose.
Ahmed ne put s'empêcher de demander :
— Comme si on lui avait sucé le sang, c'est ça ?
Un vertige envahit Lise. Quels étaient ces monstres capables de revenir sur leurs pas pour abattre froidement un serviteur de l'État ? Et qui torturaient et assassinaient une jeune femme ?
Des hurlements de sirène et des gyrophares envahirent le petit coin de forêt humide. Ils se levèrent pour se diriger vers la cavalerie qui débarquait. Lise se tourna une dernière fois pour croiser le regard de la femme. Ses yeux au fond bleu clair terrifiés dans la main serrée de la mort.
Un coup de feu claqua. Lise vit nettement la flaque de sang s'échapper du visage de son frère alors qu'il s'écroulait. Elle se mit à courir en arrachant le Sig Sauer de son holster, les gendarmes levèrent leurs armes. Tout doucement, la première voiture commença à s'éloigner.
La deuxième était déjà loin quand la troisième arriva dans leur dos.
La vitre arrière se baissa et le canon d'un fusil-mitrailleur apparut.
Quelque chose continuait de la démanger, comme si des milliers de petits serpents couraient sous la peau. Elle mourrait d'envie de s'allonger et de faire une trentaine de pompes.