Elena Botchorichvili est née en Géorgie. Elle vit à Montréal depuis 1993.
Dans son pays, elle exerçait la profession de journaliste sportif. C'était pour elle, une façon subtile de ne pas contribuer par ses écrits à la propagande communiste. Elle s'est exilée au Canada pour fuir les horreurs de la guerre civile qui opposait alors les forces géorgiennes aux Abkhazes, peuple minoritaire désireux lui aussi d'accéder à l'indépendance.
J'ai trouvé beau et attirant le titre qu'elle a donné à ce roman «
le tiroir au papillon ».
Il s'agit en fait du nom d'une comptine de son pays d'origine.
Dans ce livre, l'auteure nous raconte avec une grande économie de moyens, l'histoire d'une famille géorgienne d'ascendance noble, les Arechidzé, qui habitent Tbilissi, la capitale de la Géorgie.
Au début de la lecture de ce roman, on est quelque peu déstabilisé, car les personnages ne portent pas de nom. Il y a « Grand-Père », « Mère », « Père », « Fils », « Deuxième Femme », « Troisième Femme ». Cette façon de les nommer -sans les nommer, donne un caractère un peu flou aux personnages.
L'écriture d'
Elena Botchorichvili est singulière. Elle écrit de manière sténographique.
Son style est épuré. Ses phrases sont courtes, minimales, sans fioritures.
« Grand-Père » est la figure dominante de cette famille. Il était dentiste.
Il était bel homme, humaniste, manifestait de l'empathie pour les gens.
On le respectait. Il est maintenant à la retraite.
Il a connu une jeunesse heureuse avec ses frères lors de ses études en France.
De retour dans son pays d'origine, il a été emprisonné pour traîtrise à la suite d'une critique d'un appareil téléphonique qui avait été interprétée comme un dénigrement du régime communiste.
« Grand-Père était prince, et les communistes n'aimaient pas ça. »
« le souvenir des trois mois passés en prison remontait à sa mémoire comme des gouttes de sang perlent sur une écorchure. »
Son séjour carcéral humiliant a bizarrement coïncidé avec la disparition de sa femme qu'il n'a jamais revue !
Devenu un peu sénile, on l'a obligé à la bigamie avec « Deuxième Femme » et « Troisième Femme ». de ces unions qui l'ont perturbé beaucoup, est né quand même un fils.
« Tous les Géorgiens rêvent d'avoir un fils. »
Il faut dire que dans ce pays, on attache beaucoup d'importance à la masculinité, à la virilité, et on est machiste. « Grand-Père, Père, Fils, le même sang. » - « Une femme, un autre sang. » - « Les Géorgiens ne se promènent pas avec un parapluie, c'est un truc de femme. »
Vu son grand âge, ce fils, il l'a offert à « Père », un homme apparemment stérile, qui a eu finalement un vrai fils de « Mère », une juive ukrainienne qui admirait Staline !
Au travers de l'histoire de cette famille, on s'immisce petit à petit dans l'Histoire avec un grand « H ». Dans ce roman,
Elena Botchorichvili dresse un portrait acéré de la Géorgie en retraçant le destin de tout un peuple, depuis l'instauration du régime soviétique en 1921 jusqu'aux conflits armés du début des années 1990.
«
Gorbatchev a découpé l'Union en morceaux, mais le cadavre a continué à se tortiller et à se contorsionner comme celui d'un serpent. »
«
le tiroir au papillon » nous permet de revivre l'atmosphère qui régnait au temps de la russification de la Géorgie. On assiste à la vie quotidienne de ce peuple d'avant la débandade, qui vivait en harmonie parmi les juifs et les musulmans dans des appartements beaucoup trop petits.
« On venait de leur attribuer un petit appartement, un de ceux qu'on avait construits du temps de Khrouchtchev, avec une cuisine trop petite pour y manger tous ensemble et un plafond si bas qu'on le touchait avec la main. » - « C'est la dernière vengeance de Khrouchtchev contre l'humanité » disait Père.
Il y a comme cela, par-ci, par-là dans ce roman, des pointes d'humour, d'humour noir et d'ironie.
Il y a aussi de nombreuses anecdotes intéressantes, et de jolies métaphores.
Il y a de beaux sentiments, des liens affectifs forts entre les membres de cette famille et entre les générations.
Les personnages tentent de préserver leur part d'humanité dans un monde qui la nie sans cesse.
«
le tiroir au papillon » constitue un émouvant plaidoyer contre la bêtise de la guerre.
« le chef du KGB était un tchékiste héréditaire. Avant, c'est son père qui occupait ce même bureau, Melor, un homme qui louchait et qui fumait sans arrêt des cigarettes confisquées. En général, il les prenait dans un tiroir et vous soufflait la fumée à la figure. Il était impossible de savoir qui il regardait.
Un jour, deux jeunes recrues encore imberbes qui faisaient la ronde de nuit dans l'édifice sont entrées dans le bureau de Melor et ont découvert la boîte. Ils avaient très envie d'une cigarette.
Un papillon en est sorti et s'est envolé par la fenêtre. C'était la guerre. On les a interrogés sans relâche et on les a fusillés le surlendemain. »
Elena Botchorichvili est l'auteure de sept romans publiés au Québec. Elle écrit en russe.
En plus du français, ses romans sont traduits en italien, en roumain, en géorgien, en portugais et en tchèque.