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Citations sur Lettres à Poisson d'Or (19)

C'est si dur, à la fois, d'être et vivre ! Mais, l'être doit être au plus près de ce qui est que de ce qu'il est.
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Carcassonne. 4 septembre 1949.
     
Ta lettre m'a rempli d'une émotion mélancolique dont je te saurai toujours gré. Car ma vie tout entière m'y était donnée en une sorte d'éblouissement. Et rien n'est aussi exaltant pour une créature que de sentir en soi tout son destin. Plus haut que la joie, plus haut que la douleur s'élève le chant de la vie où l'homme apprend qu'il a été lui et qu'un fait lui a apporté le privilège de se trouver égal à son infortune. J'étais fait pour l'amour, cela ne veut pas dire que j'étais né pour le bonheur. Depuis que je suis blessé, j'ai toujours eu peur de m'aventurer avec mon coeur plein de lumière dans les durs réveils de l'existence. La voix aimée, les gestes de son corps qui m'entraînaient dans un autre monde, j'ai toujours craint de les voir se poser sur une terre où je n'irais qu'en rampant.
...
     
Tu vas voir la vie : une eau dormante sur laquelle on est emporté qui ne paraît ni nous suivre ni nous émouvoir. La vie dort. Tu sauras que loin de toi une petite lampe brûle toute la nuit au chevet d'un homme qui a eu besoin de toute sa force pour voir en toi une image du bonheur et non le bonheur même. Cela te paraîtra très étrange, mais aussi très doux de penser que tu es toujours attendue par un regard qui a lu sur toi le secret même de l'être.
...
     
Petite fille, mon bonheur est très grand parce que ta vie est venue te prendre. Ecoute-moi : il y avait une fois un homme qui avait trouvé une étoile. Oh! il ne savait pas bien l'importance de sa trouvaille, et il croyait bien n'avoir mis qu'un caillou blanc dans son sac de voyageur. Seulement à mesure qu'il marchait, le paysage où il s'avançait se faisait plus beau et le tentait davantage de s'arrêter et de déposer son fardeau qui se faisait de plus en plus lourd. Mais comment voir s'embellir l'horizon sans y trouver la promesse d'un horizon plus beau. Il allait, de plus en plus, exténué sous le poids de cette lumière dont tout, autour de lui, paraissait naître. Et c'est alors qu'il a compris que sa faiblesse venait de l'anéantissement de son être et qu'il allait bientôt n'être qu'un souvenir dans le monde qui serait la solitude de l'étoile. Et cet homme a accepté. Et il est devenu le cœur de l'étoile. De grandes ailes se sont éten­dues dans l'air bleu de l'oasis. Et c'était l'étoile même qui prenait son vol pour se poser sur la plus haute cime où un homme les attendait. Cet homme, c'était lui-même. Je ne te dis cet apologue que parce qu'il regarde ta vie comme il regarde la mienne.
     
Désormais tu vas dans une autre vie avec toute la tienne et rien ne s'y gâtera de la pure image que j'ai de toi.
     
Ma vie est extérieurement une vie de rebut, et je n'en veux pas d'autre. Je ne grandirai jamais qu'en la voulant telle qu'elle m'a été infligée, en faisant de son épreuve un objet de désir. Il y fallait une vision de pureté et de beauté et qui ne démen­tît pas mon rêve en se heurtant à mon corps blessé. C'est fait, ce qui devait être est.
     
Joë.
     
* En avril 1950, Germaine se maria. En septembre 1950, Joë Bousquet mourut.
(Dernière Lettre - Éd. l'Imaginaire Gallimard, pp. 230-231)
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Mon amour, il y aura toujours une partie de mes lettres que tu liras vraiment avec ta peau. Pardonne-moi de t'écrire avec autant de naturel. Je ne suis si loin de toi que pour arriver plus sûrement à t'envahir sans te toucher ; hier soir, j'ai eu soudain une impression étrange, extraordinairement douce, c'était comme si ma santé revenant d'un coup, j'étais, comprends-le, j'étais, à la lettre, guéri dans la pensée que ton corps m'appartenait. Le cœur me battait : la profondeur où surgissait en moi l'image n'avait jamais été touchée par mon mal, et j'y descendais lentement, comme on va porter à boire à un prisonnier . Tes cheveux environnaient de parfum mon visage, mes yeux étaient fixés sur ta nuque si blanche, mes mains ne te dévêtaient pas tout à fait, mais, à travers tes vêtements, ton corps semblait s'appuyer à elles et venir à leur rencontre ; et j'avais un peu de ton être qui se donnait à moi, timidement. J'étais sensible à la délicieuse douceur d'éveiller dans ton corps des velléités d'abandon...
Mais ce n'est là qu'une image. Et mon amour pour toi va beaucoup plus loin. Je me sens vivre dans tes entrailles, comme si tes souvenirs avaient lentement introduit mon âme dans toute la profondeur de ta chair. De même, je te porte en moi : à chaque battement de mon cœur, mon corps se traverse de la blancheur du tien, une flamme me parcourt. Ta bouche est dans mes lèvres, ta voix est le trésor de ma voix. Ton être est dans le mien comme une lampe dans le jour, qui brille aussitôt que l'espace se referme sur elle. Ta forme hante la mienne et si tu étais là, si je me faisais une révélation de ton corps, si je le pressais sur moi, je ne ferais que me pénétrer davantage de cette âme à ton image qui brûle au-dedans de moi.
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Il faut que le soleil se montre à nous comme le miroir des roses pour demeurer le soleil ; l'ancolie, comme un rideau de sable ..

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Carcassonne.
Vendredi, 1943.
On dirait que nous sommes en ce monde des ramasseurs de vent. Il nous faut longtemps guetter nos sentiments, recueillir ce que nous avons de meilleur et, le long des jours et des nuits, réunir la matière précieuse qui sait embellir toutes les heures d'une journée extraordinaire. (...) Le monde qui nous entoure est ce qu'il est dans notre coeur. Il naît avec nous, il est une apparence dont notre amour fait une réalité. Il est pour moi le monde de notre rencontre. Cette pièce illuminée où je t'ai vue pour la première fois, et où j'entre vraiment, sitôt que son image est dans mon coeur. C'est le moment où creuser la réalité de la vie, c'est croire en Dieu.
Je ne t'ai pas dit tout ce que je pensais en te voyant ; en t'écoutant. Mes paroles étaient trop pleines de ta présence et de la mienne pour servir de monnaie d'échange entre nous. Les mots ne sont vrais que s'ils sont la vie même. Et c'est après ton départ qu'ils sont ta présence, et le meilleur de mon coeur.
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Qu'est-ce donc le caractère, sinon un raccourci du destin.
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je jouis délicieusement de ne me sentir réel que dans le berceau d'une pensée toujours la même et si exceptionnelle que la vision ne s'y distingue plus de l'idée. Il est si bon de savoir qu'il existe un être tel que penser à lui ce soit déjà le voir et le toucher ; et que sa présence réelle, ainsi, soit l'unité de l'esprit et du coeur, qu'il se rende capable et grâce à sa beauté de faire avec de la lumière la transparence de la vie intérieure.
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Car ce qu'on nomme le bonheur est, au fond,autre chose. Il est la profondeur d'une aptitude à vivre qui porte sa récompense avec elle ; une disposition innée, une tendance dont nous ne saisissons jamais qu'un aspect accessoire dans les limites de ce qui vient nous griser : beauté de l'être qui est un sourire de la vie - transparence de la pensée et du désir à la rumeur du monde.
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Je voudrais vous rendre un peu de cette lumière que vous avez allumée dans mon crépuscule. Si mes lettres ne vous ennuient pas trop, je vous raconterai des histoires. Les fables qui me font aimer la vie sont peut-être chargées de sens pour ceux qui n'ont rien à oublier.
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L'Évêché, Villalier.
16 août 1937.


Extrait 2

  Si cette dernière phrase* constitue accessoirement
une définition de la poésie, elle peint mieux encore
la volonté d'un cœur de former à lui seul l'unité
de l'être aimé avec le monde où il existe. Vous le
comprenez, ma chérie ! vous êtes la forme réelle
de ce rêve que j'ai toujours caressé, et vous ne
serez vous qu'en formant l'élément essentiel de
cette irréalité qui a le tableau du monde pour
contenu. On disait de moi, dans les cercles artis-
tiques, que la poésie m'avait sauvé du désespoir.
Mais, soudain, vous avez été ma poésie et vous
êtes venue vers moi pour que je ne reste pas enfermé
dans les limites d'un art. J'ai été poète pour accéder
à vous qui m'avez voulu homme….

p.37

* " beauté de l'être qui est un sourire de la
vie — transparence de la pensée et du désir à la
rumeur du monde "
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