Exercice délicat ! Livrer son ressenti sur un livre – jugé par beaucoup – et des professionnels – comme un grand livre et qu'on a pour sa part peu apprécié, serai-je tentée de synthétiser modérément en tapant du bout des doigts sur mon clavier. Les inconditionnels de
Franck Bouysse n'allaient point au-delà de cette ligne ! Vous voilà avertis ! La noirceur ne me fait pas peur, je ne cède jamais devant un livre et vais toujours au bout car j'estime qu'il y a à chaque fois quelque chose à en tirer. Je l'ai donc lu avec beaucoup d'attention et de façon suivie sur trois journées. Modeste mais féroce compte-rendu sur le vif de mes émotions de lectrice : Séduite par les premiers chapitres intrigants, je sais que Rose - que je découvre enfant chez ses parents - va être la proie de deux monstres après avoir été vendue par son père. Je sais - à 45 ans - grosso modo quel est le pire que l'on peut faire subir à une femme et combien l'homme tordu peut tirer de jouissance malsaine à briser sa semblable aux yeux de la Création. L'horreur se déverse, les canines des monstres à peine dissimulées s'enfoncent dans la chair fraîche et rosée de l'enfant pour la dévorer et recommencer encore, et encore, et encore. Je pense que n'importe qui en lisant ces chapitres où la violence gicle à flots ininterrompus ressent des haut-le-coeur et s'apitoie sur la destinée de Rose. Je n'échappe pas à la norme mais mon esprit bute et ne cesse de s'interroger sur pourquoi tant d'horreurs accumulées : viol du Maître, ok, voyeurisme et sadisme de la vieille, je comprends pas trop, couardise nullissime d'Edmond l'émasculé décérébré, pas crédible pour moi. du coup, je sors du roman et décroche. Qui est
Franck Bouysse ? C'est mon premier livre de lui ! J'écoute son interview à la grande messe de
François Busnel. Très sérieux, sa bonne foi d'auteur souhaitant traduire l'indicible enduré par la féminité brisée par sa confrontation au Mâle assoiffé de sang frais semble sincère. Je poursuis ma lecture.
Marquage au fer rouge de Rose, assassinat du père, cruautés mentales, tortures et viols à répétition, séquestration, enchaînement, enfermement à l'asile et kidnapping d'enfant. La voix de Rose s'essouffle, je ne l'entends plus que murmurer au loin. Qui peut résister à tout cela, me dit-elle dans un râle. Tellement d'autres – mes semblables, mes soeurs - se sont jetées au fond des eaux ou ont avalé elles-mêmes le poison. Les guerrières alpha – à jamais héroïnes sauvages de mes contes à moi - auraient brandi les couteaux de 30 cm et auraient gentiment vidé le contenu des viscères de ces bonnes gens sur la jolie nappe dentelle de la salle à manger du château. En tant que femme au plus profond de mon ventre, je n'aime pas la tournure que prend ce roman : Rose est dépossédée de sa vengeance. On n'est volontairement tenu à l'écart de l'action. Je suis frustrée de la mise à mort du Maître, je voulais qu'il paie et le prix fort. (Je sais, c'est mal...) Rose à l'asile s'étiole, se fane, pendant 14 ans, elle attend. Mais quoi, b #**# ! Que le chevalier la délivre ! Non mais je rêve là ! Monsieur l'Auteur vous m'avez perdue. Une si belle héroïne aurait dû se sauver toute seule. Vous ne pouvez pas nous avoir fait endurer tout ça, pour ça ? Au secours, Adeline Dieudonné, Virginie Despentes et les autres! Alors sur ce sujet tellement délicat de la violence faite aux femmes parce qu'elles sont ce qu'elles sont et qu'elles deviennent un jour ce qu'elles doivent devenir de par ce que la nature a fait d'elles (je les ai trouvées quand même un peu tarabiscotées malgré leur charme fou, les phrases de Franck Bouysse !!), c'est-à-dire potentiellement mère, je préfère écouter Rosemonde du fond de sa prison de pierres au domaine des murmures qui trouvera par-delà les diktats de son temps le moyen de faire entendre sa voix.
Vous l'aurez compris, j'ai été chassée du roman par trop de romanesque, peut-être. Cette histoire, je la connais par coeur parce que pour tellement d'entre nous, elle n'a rien à voir avec un conte cruel. Et pour les milliers de victimes – celles d'hier et celles d'aujourd'hui – personne ne déboule d'un tunnel pour les sauver. Quand la vraie vie prend le pas sur la fiction, peut-être...
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