Il avait la coquetterie de se vieillir en laissant tomber les cendres de sa cigarette sur lui.
Jusqu’à présent tous les fonctionnaires à qui Bridet avait eu affaire, avaient affecté de le traiter avec beaucoup d'égards. pour la première fois, il n'en fut pas de même, Keruel ne prononça pas un mot.
- Je vous dérange ? demanda Bridet qui tenait encore, mais bien faiblement à garder l'apparence d'un visiteur ordinaire.
- Pas le moins du monde, répondit sèchement Keruel.
Il s'assit à son bureau, puis sans regarder Bridet :
-M Saussier m'a chargé de vous voir...
Cette parole glaça Bridet. Rien ne lui était plus pénible que d’avoir affaire continuellement à des gens nouveaux. C'était effrayant.
p. 98/99
Rien ne dévoile mieux nos intentions qu’une longue impuissance. À toujours demander sans obtenir, on finit par donner de soi l’idée qu’on ne réussira jamais, qu’on appartient à cette catégorie un peu ridicule d’hommes dont les désirs sont trop grands pour leurs possibilités.
- Je vais te dire une chose, tu ne te froisseras pas. Tu es grotesque, absolument grotesque. Tu es comme ces gens qui s'imaginent que parce que les Boches sont là, on va les arrêter. Ils n'ont rien fait et ils longent les murs. Ils veulent se rendre intéressants. Personne ne les connaît, personne ne s'occupe d'eux et ils se cachent, et ils font toutes sortes de simagrées. Un homme intelligent comme toi, tomber dans ce travers, c'est quand même malheureux. Et le plus drôle est qu'on finit par les arrêter vraiment. (p.140)
C'est peut-être la chose la plus désagréable qui puisse arriver à un homme orgueilleux que de dépendre d'un ami qu'il a négligé, auquel il n'a jamais cru et à qui les événements, en mettant notre sort entre ses mains, semblent donner raison contre nous. (p.14)
Que votre mari soit communiste, juif, gaulliste, franc-maçon, ou tout à la fois, nous n'y pouvons rien. Mais dites-lui qu'il ne nous prenne pas pour des imbéciles (P. 123)
Il n’y a rien de plus maladroit que de ne dire la vérité qu’à moitié. Ou on ment, ou on dit la vérité.
Au fond les gens ne nous jugent pas d’après ce que nous avons dit – eux-mêmes ont dit tant de choses – mais d’après ce que nous disons dans le moment présent.
Tu as bien cherché à passer pour un pétainiste. Qu'est-ce que ça peut te faire de passer pour un imbécile ? La seule chose qui compte, c'est de te tirer du mauvais pas où tu t'es mis (P. 126)
Il ne faut jamais s'en prendre à autrui lorsque survient un malheur, mais à nous mêmes (P. 154)