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Critique de Bastien_P


Mars n'est pas si loin…

Je complète ma culture SF avec Ray Bradbury, mais difficile de passer derrière Damasio ou Herbert. Avant d'attaquer Fahrenheit 451 (du même auteur), je m'étais dit que ces Chroniques auraient une saveur particulière, plus apte à me faire apprécier sa plume. Pari à moitié réussi, puisque le style est plutôt agréable, poétique, romantique, onirique à souhait, mais c'est là le seul atout véritable de ce livre.
Décrire une scène absurde, macabre ou extrêmement triste avec autant de couleurs demande un regard certainement plus critique que celui de ses contemporains. le drame devient léger, ou bien est-ce justement la légèreté du ton qui donne à ces événements une telle dimension humaine. L'apparent détachement de la narration nous concerne plus qu'on ne l'aurait cru. C'est vraiment bien joué, de ce côté-là.

L'écriture est donc sympathique, plus travaillée que chez Philip K. Dick par exemple, mais le contenu est loin de m'avoir transporté. Ils auraient dû bosser ensemble ces deux-là, ils se seraient bien complétés. Il m'a manqué l'imaginaire, l'évasion, l'immersion. L'auteur n'a pas cherché à fouiller ses décors, ou ses innovations, mais a préféré laisser bosser le lecteur.
Seul le bagage humain est très présent, dans cette invasion organisée ; son architecture, son ego, ses travers… Bradbury déplore cette tendance qu'a l'humanité à emmener ses problèmes partout avec elle. Incapable de vraiment repartir de zéro, c'est là son plus grand drame. Lui, ce qui l'intéressait, c'était la dimension sociale, les motifs de la fuite, et les enjeux d'une reconquête. le regard que portent les Martiens et les Terriens les uns sur les autres est aussi très pertinent. Entre crainte, respect et ignorance, on comprend les difficultés d'une bonne communication, ainsi que la nécessité de chercher à comprendre l'autre afin de ne pas commettre d'impair.
Ray Bradbury est à mon sens plus fin psychologue et sociologue que conteur. Je crois surtout que le format choisi pour ces Chroniques Martiennes dessert l'imprégnation de ses messages. Une vraie trame romanesque aurait été plus touchante, plutôt que des épisodes disparates, néanmoins complémentaires.

Certaines des ces Chroniques ont cependant retenu mon intérêt :

Décembre 2032, le matin vert
Une ode à la vie. Un semeur, un ensemenceur infatigable croyant fermement en sa cause. L'indispensable interaction des éléments afin de rendre cet habitat vivable. L'allégorie est belle, évidente, mais tellement rafraîchissante. Court, mais efficace. Une vraie belle nouvelle !

Août 2033, Rencontre nocturne
Il s'agit du seul texte, je crois, dans lequel l'auteur aborde la relativité. le chevauchement de deux dimensions d'abord, et si on on sait lire vraiment, la compatibilité de deux perceptions distinctes. L'Homme et le Martien (pour deux Hommes, ça marche aussi, hein), deux visions, deux modes de vie. On ne sait trop s'il existe entre leurs deux mondes une réelle simultanéité, ou si chacun se contente de voir ce qui lui plaît, mais la rencontre à elle seule mérite d'être lue. Ils acceptent l'autre presque naturellement, avec bienveillance et éducation. Pour un peu, l'auteur nous rassurerait, tiens. Et puis, cette dimension onirique qui intervient, encore, et qui pourrait expliquer bien des choses (ou pas).

Juin 2034, Tout la-haut dans le ciel
Wahou ! Couillu, le Raymond. Aborder le sujet de la ségrégation raciale en 1950, alors qu'elle était encore légale, là-bas, chez les Etats-Uniens, était sacrément osé. Et de quelle manière ! Dans un récit de SF, ça passe crème (ne voyez là aucune boutade contrastée). Une autre forme de migration, solidaire, portée par l'espoir d'une vie plus juste. Laisser ces culs-terreux de blancs livrés à eux-mêmes, sans plus aucune main-d'oeuvre bon marché. J'ai apprécié cette dimension humaine extrêmement juste et profonde. L'âme est sombre, ça oui, et le plus prompt à pardonner et à aimer est bien souvent celui qui a le plus enduré.

Avril 2036, Usher II
Peut-être bien ma préférée, car l'auteur y défend corps et âmes la création, l'imagination, l'art, la fantasmagorie, l'humour, les ténèbres, le fantastique, la magie, les contes, le rêve, l'âme, l'espoir… la vie quoi ! A grand renfort de citations De Stendhal ou de Poe, sans oublier de citer Lovecraft et ses compères, il part en croisade contre les esprit étriqués qui pourchassent son personnage et qui voudraient le voir fermer boutique. Mais c'est sans compter sur son esprit revanchard. Il leur réserve une belle surprise, dans son manoir construit sur-mesure.
Ses ennemis ? La soi-disant morale, les minorités intolérantes, les peurs des uns ou des autres au nom d'une prétendue croyance, d'une promesse de sécurité, d'un lissage pur et simple de toute l'humanité. Et c'est tellement d'actualité, purée ! Nous sommes en plein dedans, les amis. Sur ce point, Bradbury était précis à la décennie près : “Oh, ça a commencé en douceur. En 1999, ce n'était qu'un grain de sable. On a commencé par censurer les dessins humoristiques […]”
C'est l'histoire d'une vengeance, mais avec esprit, insoumission, panache et espièglerie. Chapeau !

Décembre 2036, Les villes muettes
Une réflexion cinglante autant qu'amusante sur la nature humaine, sur notre besoin de lien social, mais pas à tout prix. Ou comment la solitude peut conduire à l'aliénation. L'espoir de renouer avec ses semblables est mis en balance avec la nécessaire tranquillité. Ici, on passe de la quiétude d'une liberté absolue à la recherche éreintée d'une compagnie. Un dénouement comique à souhait, qui exprime bien que l'humain ne saura jamais ce qu'il recherche vraiment.

Avril 2057, Les longues années
Sans doute la plus romantique. Non par son écriture, mais bien par son contenu. Ici aussi on parle de compagnie, de celle que l'on se choisit. Parce que chaque individu accomplit son deuil différemment, Bradbury choisit de mettre en scène l'un des personnages les plus humains de ses Chroniques (LE plus humain ?). Hathaway coule de vieux jours paisibles, entouré des siens, à scruter le ciel et à partager de bons repas. Ce bonheur, il se l'est créé, pour ne pas avoir à subir la fatalité. Lorsqu'un morceau de son passé débarque, nous comprenons comment le soutien des siens lui a permis de tenir. Bouleversant ! Puis, quand vient la fin, quand vient l'instant de donner une définition à la vie, à l'âme, ou à la conscience, la pureté du coeur n'est pas forcément contenue dans la chair, mais dans les intentions que l'on y déverse.

Août 2057, Viendront de douces pluies
L'auteur aborde avec malice comment les machines et la technologie perdurent après la disparition de leurs créateurs. Autonomes, elles s'activent et remplissent leurs fonctions, parfaitement ignorantes de leur inutilité. Les machines pensent être utiles. Les machines pensent ? Non, pas celles-ci. Un tableau à la fois comique et absurde de la domotique à outrance. La fragilité de ces organes binaires, capables d'une seule mission et peu disposés à réagir à l'imprévu, est tragique.

A mon avis, Chroniques Martiennes n'est pas le meilleur ouvrage pour découvrir Bradbury. J'attends donc beaucoup d'un titre référence en matière de science-fiction dystopique, Fahrenheit 451.
Lien : https://editionslintemporel...
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