- L'étranger a probablement été empoisonné, repris-je.
- Le poison est toujours l'arme du crime dans les romans policiers, non ? remarqua Fély en se recoiffant. Il a probablement commis l'erreur fatale de goûter à la cuisine de Mme Mullet...
Le bicarbonate de soute - formule : NaHCO3 - était connu des ménagères comme ingrédient de pâtisserie, mais je me souviens aussi que les paysans croyaient aux vertus d'une bonne dose de sels alcalins pour évacuer les rhumes les plus récalcitrants.
Chimiquement parlant, cela avait du sens. Si les sels étaient un remède et le bouillon de poule aussi, imaginez l'incroyable pouvoir revigorant d'un verre de bouillon de poule effervescent !
Quelqu'un qui connaît le terme "souillon" vaut la peine qu'on s'en fasse une amie.
Une fille peut deviner immédiatement si une autre l'apprécie ou pas: c'est un fait avéré.
Je me prenais parfois pour le garçon dont Père avait sans doute toujours rêvé : un fils qu'il aurait pu emmener en Ecosse pêcher le saumon et dans les landes chasser la grousse, un fils qu'il aurait pu envoyer au Canada apprendre le hockey sur glace. Certes, Père n'avait jamais pratiqué ces activités. Mais s'il avait eu un fils, je me plaisais à penser que ç'aurait pu être le cas.
"Violents poisons", c'est ainsi que Lavoisier les désignait. Je me régalais de la simple prononciation de leurs noms.
-- Jaune du roi ! scandai-je en goûtant la rondeur de chaque syllabe, m'en délectant en dépit de leur nature toxique. Cristaux de Vénus ! Liqueur fumante de Boyle ! Huile de fourmi !
Mais cette fois-ci, rien à faire : ressassant sans arrêt ce que j'avais vu et entendu, mon esprit revenait toujours à Père.
Le silence peut parfois être beaucoup plus efficace que la parole.
Le lendemain matin, j’étais en plein travail au milieu des fioles et ballons quand Ophélia fit irruption dans mon laboratoire de chimie.
– Où est mon collier de perles ?
– Comment veux-tu que je le sache ? rétorquai-je en haussant les épaules.
– Je sais que c’est toi qui l’a pris. Mes pastilles de menthe se sont volatilisées du tiroir à lingerie. Et j’ai remarqué que, dans cette maison, les bonbons finissent toujours dans ta sale petite bouche.
Je réglai la flamme d’une lampe à alcool sur laquelle chauffait un vase à bec rempli d’un liquide rouge.
– Si ma bouche n’est pas assez propre pour toi, je ne te retiens pas.
– Flavia !
– Sérieusement, j’en ai assez qu’on m’accuse toujours de tout, Fély.
Ma juste indignation cessa dès l’instant où Ophélia se mit à loucher sur le mélange couleur rubis.
– Qu’est-ce que c’est que ce truc collant, tout au fond ? demanda-t-elle en tapotant le verre du bout de l’ongle.
– C’est une expérience. Attention, Fély, c’est de l’acide !
– Mais ce sont mes perles ! blêmit Ophélia. Elles appartenaient à Maman !
Père insistait toujours sur le fait que le premier repas de la journée était le "festin du corps", et pour autant que je sache, rien au monde ne pouvait le contraindre à rater ce moment.
J'avais remarqué - même si je ne faisais pas grand usage de cette observation- que parfois un simple contact peut en dire beaucoup plus long que des paroles.